KHACHATRYAN, VIOLONISTE PRODIGIEUX
Le Monde, France
27 avril 2007 vendredi
Le 27 avril, le jeune soliste armenien donnera un recital avec sa
soeur Lusine, au Theâtre des Champs-Elysees
Pas le moindre trouble sur le visage concentre du jeune violoniste
qui entre sur la scène du fameux Konzerthaus de Vienne, ce mercredi
18 avril. Sobre d’allure jusqu’a l’ascetisme – continuum de chemise
noire sur pantalon noir. Sergey Khachatryan a 22 ans. Il est ne en
1985 a Erevan, en Armenie, avant d’emigrer six ans plus tard avec sa
famille musicienne a Francfort. Il joue pour la première fois dans
la capitale autrichienne, où fut cree le Concerto pour violon de
Beethoven, son prefere avec ceux de Chostakovitch, qu’il interprète
ce soir avec l’Orchestre philharmonique de la BBC sous l’excellente
direction de l’Italien Gianandrea Noseda. Le 27 avril, il sera a Paris,
au Theâtre des Champs-Elysees.
" Je suis hante. L’Azur, l’Azur, l’Azur, l’Azur ! " Ce vers seul de
Mallarme vient a l’esprit, qui donne l’idee du vertige que produit
le violon de Sergey Khachatryan. Vertige du son : une perfection de
timbre, de couleur, de justesse, qui est un miracle en soi. Vertige
d’une musicalite proprement inouïe – c’est la terrible sagesse de
l’Enfant devant les docteurs du Temple. Sergey Khachatryan joue yeux
mi-clos, la tete penchee au-dessus d’un mysterieux miroir d’eau. La
musique sourd de lui comme le sang des grandes blessures d’amour
mystique. Elle est pure, elle est fraîche, elle est puissante.
Khachatryan n’est pas de ces violonistes diables qui incendient les
corps et transforment les salles en lupanars, de ces violonistes
polaires qui glacent les corps pour mieux rechauffer l’intelligence.
Il joue dans un total abandon de soi et des autres, ne cherche ni
a donner ni a prendre. Quasi immobile jusque sous l’assaut virtuose
qui lui barre la joue d’une balafre maxillaire, tandis qu’au plisse
du front et des sourcils semble defiler une invisible partition.
CONCERTO NOUVEAU-NE
Il joue l’ancestral Concerto de Beethoven vieux de deux cents ans,
cheval de bataille des violonistes, tellement entendu, caresse,
aime, tellement contusionne, parfois magistralement aime, parfois
magistralement contusionne. Il joue un concerto nouveau-ne, sans
cheval ni bataille. Le garcon aime la suspension entre ciel et terre,
c’est la qu’il se tient, dans les courants funambules de la musique.
La delicatesse, Khachatryan la pousse parfois jusqu’a la souffrance,
phrase retenu a l’ultime du souffle, archet au bord du rien. Son
violon est d’une onction extreme. Jamais entendu un deuxième mouvement
aussi beau et lumineux, l’orchestre deployant un choral fervent, que
le violon ornemente de traits d’anges enlumines. Les poètes encore
sont convoques. Le dernier sera Nerval. Le violon de Khachatryan est
aussi celui d’El Desdichado, tenebreux, veuf, inconsole. " Il n’a
besoin de personne en Harley Davidson " – le Huggins 1708 (c’est le
nom du stradivarius que lui a prete la Fondation japonaise pour la
musique après qu’il a remporte en 2005 le Concours Reine Elisabeth
de Belgique).
L’Orchestre philharmonique de la BBC dirige par l’excellent Gianandrea
Noseda semble stupefie du resultat, tout comme le public reuni dans le
Konzerthaus. Ce dernier aura, en revanche, bien du mal a " s’enquiller
" en deuxième partie la roborative mais definitivement trop bruyante
Faust Symphonie de Liszt. Ensuite, il ira retrouver, dans le hall
d’entree, le violoniste descendu sur terre pour signer ses disques –
un recital Brahms, Bach, Chausson (EMI), les concertos de Sibelius
et de Khachaturian (Naïve Classique) et les Concertos nos 1 et 2 de
Chostakovitch, avec l’Orchestre national de France sous la direction
de Kurt Masur (Naïve Classique).
De quoi tenir en attendant la Chaconne de Bach et les sonates de Franck
et de Chostakovitch que Sergey Khachatryan donnera en compagnie de sa
soeur la pianiste Lusine, au Theâtre des Champs-Elysees, le 27 avril.
Marie-Aude Roux
Sergey Khachatryan (violon),avec le BBC Philharmonic Orchestra,
Gianandrea Noseda (dir.), le 18 avril a 19 h 30 au Konzerthaus de
Vienne.Prochains concerts a Paris, le 27 avril a 20 heures au Theâtre
des Champs-Elysees, 15, avenue Montaigne, Paris-8e. M° Alma-Marceau.
Tel. : 01-49-52-50-50. De 5 ¤ a 62 ¤. Le 11 juin a 20 heures, Concerto
de Beethoven, avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Riccardo
Chailly (dir.), a la Salle Pleyel, 252, rue du Faubourg-Saint-Honore,
Paris-8e. Tel. : 01-42-56-13-13. De 10 ¤ a 85 ¤.
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