L’ARMENIE, SUJET BRûLANT
Par Yves Bourdillon
Les Echos, France
27 avril 2007 vendredi
" Soi-disant genocide ".
Difficile d’imaginer en Turquie un sujet plus sensible que le
genocide armenien. Selon un sondage, 80 % des Turcs prefereraient
renoncer a l’adhesion a l’Union europeenne plutôt que de se resoudre
a reconnaître, selon l’expression consacree ici, ce " soi-disant
genocide ". Pour avoir evoque ces massacres, occultes dans les manuels
scolaires jusqu’a recemment, qui auraient fait en 1915-1917 environ 1,5
million de victimes, soit les deux tiers de la population armenienne
de l’epoque, le prix Nobel de litterature Orhan Pamuk a ete poursuivi
en justice pour " insulte a l’identite turque " aux termes du fameux
article 301 de la loi sur la liberte d’expression.
Le directeur d’un journal turco-armenien, Hrant Dink, a ete tue en
janvier dernier par un jeune nationaliste, Ogun Samast, après avoir
ete designe a la vindicte populaire par des poursuites menees au nom du
meme article 301. Après que 100.000 personnes ont manifeste a Istanbul
au chant de " nous sommes tous des Hrant Dink ", des supporters d’un
club de football ont replique " nous sommes tous des Ogun Samast "…
Après neuf decennies, on pourrait penser qu’Ankara saurait affronter
son passe. Ce serait oublier que la negation du genocide est au
coeur de l’identite nationale de la Turquie moderne inventee par
Mustafa Kemal en 1923. Ce dernier s’est inspire d’une ideologie
nationaliste-reformatrice incarnee par le parti CUP des Jeunes-Turcs
au pouvoir depuis 1909 avec un agenda de purification ethnique.
Reconnaître le genocide serait admettre que l’Etat turc fut fonde
sur des bases criminelles.
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