Liberation, France
27 avril 2007 vendredi
Khachatryan, nouvelle flamme;
Classique. Le violoniste armenien donne un recital ce soir a Paris.
par DAHAN Eric
Repere a l’auditorium du Louvre en 2002, puis dans des concertos de
Sibelius et Khachaturian enregistres pour Naïve et un recital Bach,
Brahms et Ravel pour EMI Classics, Sergey Khachatryan n’a pas mis
cinq ans a s’imposer comme le meilleur violoniste de sa generation.
Si la Munichoise Julia Fischer marqua 2005 avec une integrale des
Sonates et Partitas de Bach en forme de reference moderne, son cadet
armenien livra en 2006 chez Naïve une lecture des deux concertos de
Chostakovitch d’une autorite et d’une poesie definitives.
Humilite. Loin d’imiter le modèle et dedicataire Oïstrakh, Sergey
Khachatryan semblait mû par une recherche d’equilibre et de purete
classiques, et vouloir rompre avec une tradition d’identification
psychologique. De fait, il etait dans la verite de Chostakovitch, avant
tout porte-voix d’une nation souffrante, meme si dans la passacaille
du Concerto n°1, le compositeur laisse s’exprimer, sans l’exterioriser,
sa propre angoisse. Ce melange d’humilite et d’aristocratie naturelle,
qui s’entend dans sa facon d’aborder les oeuvres, fait de Khachatryan
bien plus qu’un virtuose inspire.
Dans son Armenie natale, c’etait un garcon comme les autres, jouant au
foot avec les potes en bas de l’immeuble, "fascine par le feu" au point
de carboniser accidentellement sa chambre. Ses parents et sa grande
soeur etant deja pianistes, il se retrouve a 6 ans avec un violon
entre les mains, dont il tombe progressivement amoureux. A raison de
trois heures de travail quotidien, Sergey se produit très jeune en
public, avec pour seules idoles "les oeuvres et les compositeurs", nous
declarait-il hier. Ajoutant : "Croire qu’on a toujours le premier rôle
dans un concerto, jouer ses propres emotions fait partie des graves
dangers du metier. L’interpretation passe certes par notre système,
mais elle doit etre alimentee par une comprehension du langage du
compositeur et l’etude de toutes ses oeuvres." Dans un monde où
"meme les musiciens ne parlent plus que de carrière et d’argent",
Khachatryan pose la question nietzscheenne par excellence : "Quelle
est la motivation initiale ?"
Transfigure. Il ne se reconnaît pas dans le formalisme intellectuel
d’une musique contemporaine "au diapason de la technicisation
du monde", prefère se laisser transfigurer par la puissance des
chefs-d’oeuvre du passe. Après avoir ete sous l’emprise des Concertos
de Sibelius et Brahms, il se decrit aujourd’hui comme l’otage de ceux
de Chostakovitch, et de celui de Beethoven qu’il donnera en juin
a Pleyel avec le legendaire Gewandhaus de Leipzig sous la baguette
de Chailly.
Bach, dont il jouera la Chaconne ce soir, demeure neanmoins
la source a laquelle celui qui vit "a l’ecart des religions"
retourne regulièrement, pour retrouver le sens de sa mission. Sa
soeur Lusine, s’installera ensuite au piano pour donner avec lui la
Sonate en la majeur de Franck, oeuvre charnière entre le romantisme
et l’impressionnisme. Puis la Sonate op.134 de Chostakovitch, que
l’art des nuances rigoureusement graduees et le lyrisme chaleureux et
contenu de Sergey devraient encore illuminer de l’interieur. Celui
qui sillonne desormais la planète, de New York a Tokyo en passant
par Salzbourg, vit toujours les concerts en innocent Zarathoustra :
"Quelque chose va naître et ca m’interesse beaucoup."
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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress