Atom Egoyan S’Interroge Sur Le Sens Des Images

ATOM EGOYAN S’INTERROGE SUR LE SENS DES IMAGES
Par EmmanuÈle Frois

Le Figaro, France
02 mai 2007

DANS ses films, Atom Egoyan s’interroge sur l’identite, le souvenir,
la memoire, le deuil, la perte, la transmission du trauma, la famille,
le pouvoir de l’image dans la societe contemporaine. La retrospective
que lui consacre le Centre Pompidou permet d’aller au coeur meme
de son oeuvre complète : onze longs-metrages, des courts-metrages,
films experimentaux, series teles. Le cineaste est passionnant,
l’homme attachant et sympathique. Dès son premier film, Next of Kin,
en 1985, Atom Egoyan met en scène la notion de perte d’identite et
le desir de s’en creer une nouvelle avec l’histoire d’un jeune homme
adopte par des refugies armeniens. Il a appris, grâce a une video
enregistree pendant une seance de psychotherapie, que ce couple avait
dû abandonner son enfant.

"Ce qui etait fascinant dans les annees 1980, c’est que la video
venait juste d’entrer dans les foyers , confie le realisateur. Dans
mes films suivants, cette nouvelle technologie donnait l’illusion
aux personnages qu’elle apporterait un certain reconfort a leur
cerveau perturbe. En fait, elle les tourmentait, les torturait. "
Atom Egoyan, Canadien d’origine armenienne, est ne au Caire en 1960
et a ete eleve en Colombie-Britannique. " Je ne suis jamais alle
dans une ecole de cinema, avoue-t-il. Autodidacte, j’ai essaye de
comprendre peu a peu la grammaire cinematographique. En 1987, avec
Family Viewing, un dispositif d’ecrans et de cameras prenait la place
de la mère absente du jeune heros. J’avais ete très influence par
Rivette qui, dans L’Amour fou, utilisait le 16 millimètres et le 35
millimètres. Dans mes premiers films, Bresson m’a egalement inspire,
mes personnages avaient une presence fantomatique. " Le realisateur
ne s’interrogera vraiment sur ses racines armeniennes qu’a 18 ans. "
Mes parents qui etaient nes en Egypte, avaient cree une nouvelle vie
au Canada et ils etaient complètement assimiles. C’est lorsque j’ai
demenage a Toronto que j’ai rencontre un groupe d’etudiants armeniens
engages et activistes. J’ai decouvert le genocide en detail, le deni
de la Turquie, la memoire effacee… Les parents de mon père etaient
des orphelins du genocide. Mon grand-père n’en parlait jamais. Ma
grand-mère se souvenait seulement d’une chanson que chantait sa mère,
Reve, et que j’ai glissee dans Ararat. " Avec ce film sorti en 2002,
Egoyan evoque les consequences du genocide sur plusieurs generations
a travers l’histoire d’un cineaste d’origine armenienne qui doit
tourner un film sur le siège de la ville de Van, en 1915. " J’ ai
tente de montrer comment la geste epique ne peut etre le lieu de la
reconciliation. Elle doit se faire de facon individuelle. J’ai des
contacts avec des intellectuels turcs et des artistes. Et je suis
rempli d’espoir. Je crois au pouvoir de l’imagination et non au
politique. En juin a Toronto, je realise une exposition avec Kutluj
Ataman. Nous travaillons sur une installation qui porte sur la notion
de temoignage. " Miroir de la conscience Toujours dans le cadre de
cette retrospective, on pourra decouvrir ce jeudi Citadel, film recent
et inedit. " J’ai imagine une lettre a mon fils qu’il pourra voir dans
dix ans. " Atom Egoyan a filme avec sa camera digitale le retour de
son epouse et actrice fetiche, Arsinee Khanjian, a Beyrouth, la ville
où elle est nee et où elle a grandi jusqu’a ce que la guerre civile ne
l’oblige a quitter le Liban pour le Canada. " Elle y retournait pour
la première fois depuis vingt-huit ans. En voix off, j’explique a notre
fils, Arshile, l’histoire de ses parents. Il y a une vraie construction
dramatique meme s’il s’agit d’un journal." Son obsession autour de
l’image, instrument et miroir de la conscience, ne l’a jamais quitte. "
En 1992, il y avait eu un debat fort interessant entre les philosophes
Paul Virilio et Jean Baudrillard sur la nature de l’image. Baudrillard
pensait que l’image etait devenue un simulacre de la realite alors
que Virilio disait qu’elle etait la realite. Et mon travail etait
un peu au centre de ces echanges. " Sur ce thème, le Centre Pompidou
propose egalement des Lettres video qui furent echangees entre Paul
Virilio et Atom Egoyan. Mais, finalement, de quelle facon son cinema
va-t-il evoluer ? " Mon prochain film, Adoration , que je tourne
cet ete, parle d’adolescents qui communiquent sur Internet en se
creant de fausses identites. Il n’y a plus rien d’etrange a ce sujet,
rien de force ou d’artificiel, c’est devenu leur quotidien. Ce drame
explore ce territoire qui est devenu complètement naturel pour cette
nouvelle generation. Mais finalement, la vraie question du futur est
celle-ci : jusqu’a quand regarderons-nous des visages humains projetes
sur grand ecran ? Pour le 60 e anniversaire du Festival de Cannes,
Gilles Jacob a demande a des cineastes de plancher sur le thème de
la salle de cinema. Avec mon court-metrage de trois minutes, Artaud
Doble Bill, je tente une reponse. Antonin Artaud apparaît dans la
Jeanne d’Arc de Dreyer. Un spectateur en train de voir ce film essaye
de transmettre, de traduire cette experience a un ami absent. "
"L’Essentiel d’Egoyan", coffret 8 DVD aux Edition ARP Selection,
distribution TF1 video, 70 eur. Retrospective au Centre Pompidou,
du 3 mai au 4 juin.

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