Aux Armeniens L’Histoire S’Articulant

AUX ARMENIENS L’HISTOIRE S’ARTICULANT
par Aude Bredy

L’Humanite, France
7 mai 2007

Theâtre (1) . Dans le cadre de l’annee de l’Armenie en France baptisee
Armenie, mon amie, Pascal Tokatlian cherche la parole des siens et
de leurs descendants.

La salle aeree du Theâtre de l’Aquarium semble vaste au recit de
Pascal Tokatlian. À la mesure de ses interrogations sur son origine
armenienne. Une appartenance qu’il sonde dès l’enfance. Issu du
Theâtre des Lucioles, ce comedien ne en France sait que le fascisme
a accule au depart la partie italienne de sa famille. Mais du côte
armenien… Adulte, il saura : " Certaines personnes de ma famille
m’ont raconte comment elles avaient ete chassees de chez elles. Ils ne
faisaient aucun doute qu’elles etaient arrivees en France a cause d’un
genocide. " Un genocide, la verite, souvent niee, aujourd’hui encore.

La verite pourtant. Des faits precis, des dates, d’affreux chiffres :
" Au total, les deux tiers des Armeniens de Turquie, soit environ 1,2
million de personnes, auront peri assassines entre 1915 et 1916… "
Dans le spectacle Ermen, L’histoire s’affirme, se rappelle a nous ;
a certains manuels scolaires sûrement : sur de hauts panneaux, elle
s’ecrit blanc sur noir, en lettres majuscules et lignes compactes.

Qui s’y efforce pourra la lire. Notamment la journee du 24 avril
1915, où a Constantinople, capitale de l’Empire ottoman, 600
notables et intellectuels d’origine armenienne sont arretes sur
ordre du gouvernement. Pascal Tokatlian veut " accorder aux morts
ce qui leur est dû (…) et rendre la parole aux vivants ". Dans
ce dessein, il songeait d’abord au seul temoignage du journaliste
armenien Aram Andonian, survivant qui ecrivait en meme temps qu’il
subissait la deportation dans les camps de concentration de Syrie
et de Mesopotamie. Un moment fort, c’est quand, la tete baignee par
la lumière d’une lampe proche, le comedien assène les epreuves, les
descriptions d’Andonian. Des mots tires de la nuit de l’evitement et
du deni.

S’y ajoutent ceux de Pascal Tokatlian. Qui decouvre la maison de son
grand-père en Turquie ; qui questionne sa famille aux personnages
attachants, aux tresors enfouis. Leurs souffrances subies suppurèrent
toujours car les bourreaux ne les reconnurent pas. Les sons de la
kamantcha de Gaguik Mouradian en egrènent les accords lancinants.

L’instrument opère de graciles fissures dans des silences dilates
a brûle-pourpoint.

La mise en scène, sous le regard de Julie Brochen, revèle une
fine intuition quant aux pas insatiables du comedien sur lequel
s’abattent des noirs eloquents. Dommage que notre attention se
relâche la où trop souvent le recit de la vie familiale en France
glisse vers l’anecdotique. Et que l’interpretation soit trop tenue,
parfois crispee sur une note monocorde bridant l’emotion ou l’humour,
comme s’il etait encore difficile a Pascal Tokatlian de se laisser
irriguer par ses mots. Mots d’importance.

Jusqu’au 23 mai au Theâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie – route du
Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris. Metro Château-de-Vincennes, sortie
n° 6, bois de Vincennes, puis navette gratuite Cartoucherie.

Du mardi au samedi a 20 h 30 et dimanche a 16 heures (relâche le
dimanche 20 mai).

Reservations : 01 43 74 99 61.

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