Pour Gagik Tsarukian, leader d’Arménie prospère, "rien n’est impossible"
LE MONDE | 12.05.07 | 15h08 . Mis à jour le 12.05.07 | 15h08
EREVAN ENVOYÉ SPÉCIAL
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Quand Gagik Tsarukian arrive, la discrétion est rarement de mise. Une
demi-douzaine de 4 × 4 s’arrêtent dans un crissement de pneus, et une armée
de colosses, revolver à la ceinture, en descend prestement pour lui déblayer
le passage. Ce jour-là, Gagik Tsarukian reçoit dans son usine de cognac, une
ancienne forteresse au coeur d’Erevan. Et comme à son habitude, il commence
par les cadeaux, offrant à ses invités des bouteilles centenaires comme on
distribue des tracts électoraux.
Ce richissime quadragénaire au cou de taureau, champion du monde de bras de
fer, est à la tête d’Arménie prospère, un parti populiste lancé en mars 2006
et qui, d’après les sondages, pourrait devenir la deuxième force politique
arménienne à l’issue des élections législatives qui devaient se tenir samedi
12 mai.
Avec la bénédiction du président Robert Kotcharian, il pourrait intégrer la
coalition gouvernementale. Mais M. Tsarukian, que les Arméniens surnomment
"Dodi Gago" (crapaud débile), se voit un destin de sauveur national.
"Comment un homme comme moi, qui est devenu si puissant, pourrait rester
dans l’opposition", hurle-t-il. Député depuis 2003, il rêve de la présidence
de la République, qu’il pourrait briguer en 2008.
Tout au long de sa campagne, Dodi Gago a joué les Père Noël. Mardi, dans
l’une des régions les plus déshéritées de ce petit Etat miné par la
pauvreté, il a pu mesurer sa popularité. A une femme venue lui exposer ses
problèmes, il a promis la gratuité de la semence de pomme de terre. Avant de
repartir, il a acheté une ambulance pour l’hôpital local. Avec Gagik
Tsarukian, la politique est simple. "Rien n’est impossible, il suffit de le
vouloir et de travailler. Mon but, c’est que le peuple soit prospère",
assure-t-il en agitant sa montre en diamant. Mais d’après un député qui
préfère garder l’anonymat le parti de M. Tsarukian pratique le clientélisme
dispendieux. "Partout où il va, il arrose méthodiquement. Il a acheté les
journalistes, les intellectuels, les fonctionnaires…"
Après un an d’existence, Arménie prospère revendique 250 000 adhérents. "Je
ne soudoie pas les gens. Je n’exige rien d’eux en retour", affirme Dodi
Gago. Dans sa région d’origine, à Kotayk, on l’appelle "le roi". Un roi
ubuesque avec sa cour et son palais baroque construit en dehors d’Erevan,
dans lequel, raconte-t-on, il avait fait venir deux lions qui ont fini par
dépérir.
La fortune colossale de cet oligarque, le plus riche d’Arménie, suscite
beaucoup d’interrogations. Son conglomérat, Multi Group, est présent dans
une quarantaine de secteurs : stations-service, ciment, médicaments… Mais,
d’après l’analyste politique Emil Danilyan, le peu de bénéfices dégagés par
ses activités laisse planer de forts soupçons de blanchiment.
En 2006, il avait été contraint de revendre ses parts de l’usine de bière à
son partenaire, le Français Castel. "Il détournait les bénéfices", assure
Edik Baghdasaryan, rédacteur en chef de Hetq. Des marchés et des immeubles
du centre-ville lui ont été gracieusement confiés par les autorités. Membre
du Comité international olympique (CIO), il a aussi ses entrées au Kremlin.
Ses adversaires craignent ses hommes de main. Début mai, un membre de
l’opposition, Shannen Petrossian, a été battu et jeté inconscient au bord
d’une route. Il affirme, selon les médias locaux, avoir reconnu les gardes
du corps de Dodi Gago. Ce dernier a démenti.
Guillaume Perrier
Article paru dans l’édition du 13.05.07