L’Inventivite – Rigoureuse De Ruben Melik

L’INVENTIVITE – RIGOUREUSE DE RUBEN MELIK
Jean-Baptiste Para

L’Humanite, France
23 mai 2007

Decès . Le poète est mort lundi. Un autre poète, Jean-Baptiste Para,
lui rend hommage.

Ruben Melik nous a quittes. Pour tous ceux qui l’ont connu, son
elegance et sa discretion donnaient une couleur particulière a son
affectueuse presence humaine. D’ascendance armenienne, il etait ne
a Paris en 1921. " Ruben je viens, mon nom le dit, des autres zones
", ecrivait-il dans le Veilleur de pierre. À la Fete de l’Humanite,
nous avons plusieurs fois dejeune ensemble dans un stand armenien. La –
fidelite a ses racines etait chez Ruben Melik une forme de tendresse,
elle etait aussi memoire d’une – tragedie. Il savait que ses racines
doivent etre pour l’homme le lieu premier de son essor, mais qu’elles
se dessèchent et se sclerosent dans le repli identitaire.

Derrière ses fines lunettes cerclees d’or, ses yeux toujours
s’illuminaient lorsqu’il evoquait ses anciens professeurs,
Jacques Decour, Ferdinand Alquie et Gaston Bachelard. Engage dans
la Resistance, il avait fait partie du comite de Liberation du 18e
arrondissement de Paris. Charge de mission au ministère de l’Education
nationale puis au ministère des Affaires culturelles dans les annees
1954-1970, producteur et critique a la radio, directeur litteraire
des Editeurs francais reunis, membre du comite de la revue Europe,
la poesie fut toujours au coeur de son existence. C’est lui qui
veilla au destin de la celèbre collection " La Petite Sirène " où
furent publies nombre de poètes majeurs de notre temps, de Nazim
Hikmet a Yannis Ritsos, de Guillevic a Aïgui, de Bernard Vargaftig
a Lionel Ray. C’est lui aussi qui dirigea une très belle Anthologie
de la poesie armenienne des origines a nos jours (1973).

En 1946, Joë Bousquet avait ete l’un des premiers a – saluer les debuts
poetiques de Ruben Melik : " Je me sens attire vers l’oeuvre de ce
jeune poète, d’abord parce que j’y rencontre une notion très virile
de l’espoir, un optimisme nourri de force et non d’illusion ; et pour
d’autres raisons aussi, dont l’une ne manque pas de pedanterie : il
reussit la grande strophe en alexandrins sans epouser les rythmes qui
nous ont lasses d’elle… " C’etait remarquer d’emblee l’originalite de
ce poète, dont la magie du verbe aura toujours mele des accents très
neufs et singuliers a une – intense memoire de la poesie francaise
classique, tout particulièrement celle de la fin du XVIe et du debut
du XVIIe siècle.

" Le classicisme n’est que la corde la plus tendue du – baroque ",
observait Francis Ponge. Et sans doute est-ce dans le meme sens que
Ruben Melik comprenait le classicisme. C’etait chez lui une – facon de
manifester une haute exigence, de poursuivre sa route sans concession
a – aucune mode, de respecter et de casser d’un meme geste le vers
classique pour lui offrir la chance d’une nouvelle articulation. Ce
travail sur le vers lui permettait de donner au poème une architecture
ample et inquiète, riche de nuances, de surprises, d’ouvertures
imprevues et de – fecondes deviations. Comme le remarquait Marie-Claire
Bancquart dans un essai publie en postface a la Procession : " Cette
clarte, cette regularite presque ostentatoire, sont employees par
Ruben Melik pour dire une immense derive qui, par elles, est renfermee
dans une forme en – apparence fixe. " Outre la Procession, livre dans
lequel il avait reuni et redistribue – selon un ordre architectural
et non chronologique l’ensemble de ses oeuvres parues de 1942 a 1984
(Messidor-Rougerie, 1984), on lira et relira Ruben Melik dans un
autre volume essentiel qui rassemble ses poèmes des annees 1989-1994
: En pays partage (Le Temps des cerises – Les Ecrits des forges,
2000). En attendant, peut-etre, la parution de poèmes inedits…

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