L’HISTOIRE DE L’ARMENIE RETRACEE A TRAVERS SA FUREUR DE L’ECRITURE
Michel Samson
Le Monde, France
14 juin 2007 jeudi
A la Vieille Charite de Marseille, une exposition sur un peuple forge
par sa passion du signe
Des enluminures sur fond d’or, des ecritures dont les lettres sont
formees avec des dessins d’oiseaux ou de poissons, des caractères
" de fer ", alignes comme a la parade, des lettres cursives, des
inscriptions maladroites et des traductions erudites : avec ses objets
disparates, dont certains d’une epoustouflante beaute, l’exposition
" Armenie, la magie de l’ecrit " raconte l’histoire d’un peuple qui
a partout laisse traces et signes de son amour de l’ecriture.
Que ce soit sur le territoire historique et toujours dispute de
l’Armenie, sur celui, plus ephemère, du royaume de Cilicie (sud de
la Turquie), ou dans les grands lieux de sa diaspora, tout donne
pretexte a ecrire a un peuple reuni par sa religion et son ecriture,
forgee au Ve siècle par Mesrop Machtots, premier traducteur de la
Bible en armenien.
Dans une salle de l’exposition, quatre objets voisins montrent combien
" la fureur d’ecrire " a travaille les Armeniens de toute condition. On
y voit d’abord le plateau de Djoulfa, du nom d’une ville historique
du premier royaume, orne d’animaux fantastiques, de signes du zodiaque
et de motifs floraux, sur lequel on peut lire cette inscription : " A
la date de 926, le maître Kourdchi fabriqua cette table de ses mains. "
En face est expose un couvercle de puits venant de Jerusalem, sur
lequel est grave un long texte. A côte un lutrin provenant d’une eglise
d’Ani est couvert d’ornements raffines et signe du " menuisier Avetik,
fils d’Harout ". Les parchemins ouverts dans la vitrine adjacente
rappellent enfin qu’on peut litteralement lire l’histoire de l’Armenie
en dechiffrant ses recueils de textes sacres, dont la provenance et la
fonction sont toujours precisees. Car c’est une habitude armenienne,
aussi ancienne que durable, que d’inscrire sur un objet, sacre ou
profane, qui l’a fait et qui l’a commandite. Et si l’objet change
de main, son nouveau proprietaire met un point d’honneur a y ajouter
son propre nom.
INSCRIPTION ORNITHOMORPHE
Et c’est l’emotion, tenace, que provoque cette exposition qu’il est
bon de parcourir avec un guide traducteur : ces lettres et ces phrases
venues de si loin evoquent les mains et les pensees de l’etre disparu
qui les a gravees, dessinees ou peintes. On est aussi trouble par
quelques objets d’une tendre beaute, comme cette pierre de cheminee
anthropomorphe, representant une femme aux traits schematiques,
tete ronde, longue robe conique a la manière des vierges espagnoles
ou provencales et sur les bords de laquelle court une inscription
ornithomorphe (en forme d’oiseau).
Quelques objets, montres ici pour la première et probablement dernière
fois de leur histoire, rappellent combien celle des Armeniens fut
riche de drames, d’exil et d’inventivite. L’evangile de Lemberg,
chef-d’oeuvre de graphie et de miniatures peintes au XIIe siècle, est
parti de Cilicie vers la Crimee, la Silesie et bien d’autres contrees
où vivaient des Armeniens. Il arriva dans une bibliothèque de Lvov
(Pologne), pillee durant la seconde guerre mondiale par les nazis et
les Sovietiques.
Cachee par un moine benedictin près de Cracovie, cette bible mythique
etait consideree comme perdue avant que des armenologues ne la
retrouvent par hasard – et qu’elle retourne illico dans le giron du
primat de Pologne, peu preteur. Les amateurs de cartes apprecieront
un autre chef-d’oeuvre, la Tabula Chorographica Armenica, où figurent
tous les etablissements religieux armeniens d’Asie mineure en 1691,
annee où elle fut commandee par un diplomate bolognais. Cette merveille
de precision et d’imagination a ete retrouvee a Bologne en 1991 et
ne devrait plus jamais sortir des archives de la ville italienne.
Armenie, la magie de l’ecrit.Musee de la Vieille Charite, Marseille.
De 11 heures a 18 heures, ferme lundi. Visites guidees samedi, dimanche
et mercredi, a 15 heures. Jusqu’au 22 juillet. 5 ¤.Catalogue edite
par Somogy/Editions d’art avec l’aide de la Maison armenienne de la
jeunesse et de la culture de Marseille, 49 .
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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress