ARLES DEVOILE LES TRESORS DE L’ARMENIE ANTIQUE
Anne-Marie Romero
Le Figaro, France
23 juin 2007
POUR comprendre et apprecier a sa juste valeur l’exposition du Musee
de l’Arles et de la Provence antique (1), il convient de faire le
vide dans nos esprits : oublions nos chronologies, nos repères, nos
premières ceramiques vers 5 000 avant J.-C., nos premiers objets
de bronze vers 1 200. La-bas, dans ce Caucase lointain, carrefour
entre mer Noire et mer Caspienne, entre Mesopotamie au sud et empire
scythe au nord, l’histoire des hommes et celle de l’art commencent
mille ans plus tôt. Temoin, dès la première vitrine : un gobelet
d’argent repousse, d’une facture raffinee, a six registres decores
d’un thème traditionnel en Orient, celui de la chasse royale au
lion. Un gobelet doublement important parce que temoin de la maîtrise
parfaite de la metallurgie au XXII e siècle avant J.-C. et source
d’information sur la culture spirituelle d’une societe contemporaine
de notre prehistoire. " Le roi, explique Claude Sintès, directeur
du musee, symbolise la force et la virilite, il protège son peuple
des animaux sauvages, eux aussi symboles, a la fois des ennemis
et des forces malfaisantes de l’au-dela. " Un thème que l’on a vu
largement developpe l’an dernier, dans l’exposition sur les Thraces
au Musee Jacquemart-Andre. Dans ce " croissant fertile " du III e
millenaire dont l’Armenie fait partie, tout ce qui a ete decouvert
est d’une perfection artistique stupefiante. Les bijoux d’or fondu,
martele, filigrane, cloisonne, grainete, soude, enveloppant agate et
sardoine, les haches de ceremonie d’argent, en forme d’ancre ; les
poteries, telle cette jarre geante dont la panse evasee symbolise la
fecondite feminine et les tetons qui entourent le col, les mamelles,
representation très originale du thème eternel de la fertilite. C’est
a cette epoque que l’on trouve une foule de petits personnages et
des animaux minuscules, metaphores des forces de la nature.
Fiches sur les montants des chars funeraires. Perces, ils contenaient
des billes qui en faisaient des grelots, destines a eloigner les
esprits malfaisants. Seule, la sculpture, reste fruste. La pierre, le
tuf, est omnipresente en Armenie, mais, plus difficile a travailler,
elle n’a guère inspire les artistes. C’est en ces temps recules aussi
que les ancetres des Armeniens ont represente d’une manière, encore
une fois symbolisee mais assez evidente, leur conception geocentrique
du système solaire sous la forme d’etranges objets en bronze ajoure,
qui montrent clairement qu’au XII e siècle avant notre ère, pour eux,
la Terre etait bien ronde ! L’ecriture cuneiforme Lorsqu’en – 950,
ces soixante-trois petits royaumes s’unissent pour constituer celui
d’Ourartou, l’influence assyrienne se fait sentir avec l’apparition
de l’ecriture cuneiforme. Mais le style de la production armenienne
ne change guère. Le travail de l’or s’affine encore avec des bijoux
arachneens et de la vaisselle somptueuse, les rhytons destines aux
libations prennent une tournure de plus en plus originale et meme
cocasse, comme cette botte a lacets peints en terre cuite. L’occupation
des Mèdes puis des Artaxides, heritiers du passage d’Alexandre,
n’entame pas le substrat d’un art très symbolique, avec ses petits
personnages ithyphalliques, allegorie de la force virile, ses animaux
miniaturises, et ses " femmes poteries ". L’hellenisation est faible :
elle se traduit dans d’admirables rhytons d’argent, de grande taille,
figurant de fringants cavaliers.
Et meme sous l’occupation romaine, le rouleau compresseur de la pensee
unique ne parvient pas a tuer la specificite armenienne : bien qu’on
moule une très belle tete en verre de l’empereur Caracalla et des
cohortes de petites deesses mères, la symbolique feminine des decors
qui ornent les enormes vases a vin et les rhytons en forme d’ours,
a la manière d’un Francois Pompon, montrent la resistance d’un art
autochtone qui ne veut pas mourir. (1) " Splendeurs de l’Armenie
antique " jusqu’au 29 juillet au Musee de l’Arles et de la Provence
antique, Presqu’île-du-Cirque-Romain, 13200 Arles. Tel. : 04 90 18
88 88.
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