LES DeMOCRATES DIVISeS AU CONGRèS AMeRICAIN SUR LE GeNOCIDE ARMeNIEN
Corine Lesnes
Le Monde, France
19 octobre 2007 vendredi
ETATS-UNIS SOUS LA PRESSION DE M. BUSH ET D’ANKARA
La tempete provoquee par le projet de resolution du Congrès americain
reconnaissant le genocide armenien devrait retomber. La presidente
de la Chambre des representants, Nancy Pelosi, qui avait promis de
soumettre le texte au vote cette semaine, a dû y renoncer en raison
de defections de ses collègues sous la pression de l’administration
Bush et d’Ankara. Une douzaine de democrates ont retire leur nom de
la liste des 226 soutiens de la resolution, qui avait ete adoptee
le 10 octobre par la commission des affaires etrangères, provoquant
la colère du gouvernement turc et le rappel de son ambassadeur. Avec
214 voix, la majorite n’est plus reunie.
Comme l’a indique le representant John Murtha, adjoint de Mme Pelosi
au groupe democrate, " si le texte etait presente aujourd’hui, il ne
serait pas adopte ". En 2000, une initiative similaire avait echoue
après que le president Bill Clinton eut appele le chef de la majorite
au Congrès.
Les pressions ont ete intenses. Tous les ex-secretaires d’Etat en
vie ont demande a Mme Pelosi de remiser le texte. George Bush lui
a signifie a quel point ce vote etait " contre-productif ". " Le
Congrès a autre chose a faire que de fâcher un allie democratique du
Proche-Orient, surtout quand il fournit un soutien vital a nos soldats
", a-t-il insiste.
Le lobbying turc, surtout, a fonctionne. Pour bloquer ce texte, le
gouvernement turc a depense 3,2 millions de dollars depuis août 2006.
Dans une enquete realisee a partir des comptes rendus d’activites que
les firmes de lobbying sont tenues de communiquer au ministère de la
justice, le New York Times a montre comment la societe de l’ancien
representant republicain Robert Livingston est intervenue auprès
de parlementaires pour les sensibiliser a la position turque. Ces
memes elus ont ete les beneficiaires de contributions financières
pour leur campagne de reelection. Après le changement de majorite en
2006, le gouvernement turc a aussi recrute un lobbyiste democrate,
l’ex-leader de la Chambre Dick Gephardt. L’affaire avait fini par
embarrasser beaucoup de monde.
Les democrates se sont trouves divises entre leurs principes et
le souci de ne rien faire qui puisse nuire aux troupes americaines,
alors que la presse denombrait les electeurs d’origine armenienne dans
leur circonscription… " Tout cela s’est deroule il y a 100 ans, a
declare M. Murtha. Nous avons besoin d’allies si nous voulons gagner
cette guerre – en Irak – et ce n’est pas une region où nous en avons
beaucoup. "
La resolution a divise la communaute juive, certains responsables se
ralliant a la position israelienne, defavorable a tout ce qui irrite
Ankara. L’un des artisans du texte, le president de la commission
des affaires etrangères, Tom Lantos, un emigre hongrois rescape de
l’Holocauste, s’etait toujours oppose a la reconnaissance du genocide
armenien, jugeant que l’allie turc ne doit " pas etre humilie ". Il
a change d’avis en 2005, estimant qu’il fallait manifester a la
Turquie le mecontentement des Etats-Unis pour son refus d’ouvrir son
territoire aux troupes americaines avant l’invasion de l’Irak en 2003,
ainsi que pour ses bonnes relations avec la Syrie, y compris après
l’assassinat du premier ministre libanais Rafik Hariri, en 2005. " La
Turquie a ignore nos interets ", declarait-il. Comment pourrait-elle
" s’attendre a ce que les Etats-Unis la soutienne sur les sujets qui
lui tiennent a coeur ? "
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