HRANT DINK: UN ARMENIEN EN RENAISSANCE
Nukte V. Ortaq
L’Express
/dossier/turquie/dossier.asp?ida=325494
11 Fev 2008
France
Hrant Dink dirige un journal armenien. Son but: rendre sa fierte a
sa communaute. Et s’il est critique envers les autorites d’Ankara,
il l’est aussi envers la diaspora
"Qu’est-ce qui est le plus important pour la Turquie? Qu’elle se
democratise? Ou qu’elle reconnaisse le genocide armenien?" interroge
Hrant Dink, directeur de la redaction d’Agos, un hebdomadaire armenien
publie depuis six ans a Istanbul. Cette question obsède ce petit
homme bouillonnant de 49 ans, qui mène une veritable revolution
culturelle au sein de la communaute armenienne de Turquie. Le
mois dernier, pour la première fois après vingt ans d’attente,
il a enfin ete autorise a se rendre a l’etranger. Son nouveau
passeport lui a permis de participer a un congrès sur les relations
turco-armeniennes organise a l’universite du Michigan. En compagnie
de plusieurs personnalites telles que l’historien Vahakn Dadrian,
Taner Akcam et Richard Hovhannisyan, le journaliste turc Cengiz
Candar ou le politologue Baskin Oran. "J’ai ete très impressionne
par tous ces intellectuels, confie le patron d’Agos. Je voudrais
qu’ils viennent en Turquie, qu’ils voient comment nous vivons ici,
qu’ils discutent avec des universitaires turcs." Mais la plupart des
historiens armeniens-americains hesitent a faire le voyage.
Si la Turquie ne se democratise pas, l’Armenie ne sera jamais en
securite
Ne a Malatya, capitale de l’abricot, blottie au c~ur du plateau
anatolien, passionnant et passionne, Dink se bat sur plusieurs
fronts. Et c’est ce qui fait son originalite. Il n’appartient a aucune
chapelle. Il n’a pas hesite, l’an passe, a venir, sur les plateaux de
television, rappeler les injustices faites aux Armeniens, au moment
meme où les Turcs descendaient en nombre dans la rue pour protester
contre l’adoption par le Parlement francais d’une loi reconnaissant le
genocide. En demandant, en direct, aux parlementaires qui participaient
a la meme emission quand l’Assemblee nationale d’Ankara avait, pour la
dernière fois, aborde le problème de la minorite armenienne. Jamais,
evidemment, d’où le silence gene de ses interlocuteurs…
"Seul le dialogue nous sauvera" S’il critique les autorites turques,
Dink juge aussi sevèrement ceux qui, en France ou aux Etats-Unis,
exploitent les massacres armeniens a des fins electorales. "Il ne faut
pas chercher l’identite armenienne parmi les tombes de 1915. Je porte
ma douleur en moi, au quotidien." A ses coreligionnaires occidentaux
qui affirment que les Armeniens de Turquie ont peur, il lance cette
invite: "Venez ici, je suis pret a discuter." Car il se sent fier
d’etre un Armenien de Turquie. Et il se veut, avec son journal,
le porte-drapeau d’une renaissance de cette communaute.
Dans ce pays, les Armeniens, montres du doigt et conspues dans les
annees 1970 a cause des attentats de l’Asala, se sont longtemps fait
les plus discrets possible. Ils evitaient de repondre aux insultes des
journaux qui les accusaient, sans preuve, de soutenir les Kurdes et
leur chef, Abdullah Ocalan, qu’un ministre de l’Interieur n’hesitera
pas a traiter de "graine d’Armenien"… C’est dans ce contexte
qu’est ne Agos. Cet hebdomadaire bilingue, armenien et turc, est
aujourd’hui vendu a 6 000 exemplaires. "Il fallait que les Armeniens
se defendent!" tonne Dink. Avec ses editorialistes, dont l’historien
Taner Akcam et le politologue Baskin Oran, ses 30 jeunes journalistes,
l’hebdomadaire souffle un vent de fraîcheur sur une communaute de 70
000 âmes.
Tout ne se passe pas sans accrocs. Ainsi, le journal fut saisi l’an
passe pour avoir ecrit que "les lois [sur le genocide, NDLR] cesseront
d’etre un problème lorsque la Turquie respectera la douleur creee par
le 24 avril [date symbolique du debut des massacres de 1915]". Dink,
auquel le ministère public avait intente un procès, fut heureusement
innocente. Il en faudrait d’ailleurs bien davantage pour decourager
cet homme qui a fait de la renaissance armenienne sa raison de
vivre. "Je mets toute ma force dans l’amelioration des relations
turco-armeniennes, dit-il. Si la Turquie ne se democratise pas,
l’Armenie ne sera jamais en securite." Il est convaincu que la Turquie
peut etre une chance pour le jeune Etat au bord de l’asphyxie. "Meme si
cela peut paraître utopique, l’Armenie aura vraisemblablement demain,
grâce a la Turquie, la chance de compter un voisin appartenant a
l’Union europeenne." Et d’ajouter, avec insistance: "Seul le dialogue
nous sauvera."
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