LA BANDE DE L’ESTAQUE: LADY JANE de Robert Guediguian
Emmanuel Hecht
Les Echos
9 avril 2008 mercredi
France
Un premier film noir reussi, malgre une baisse de rythme.
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gerard Meylan. 1 h 40.
Robert Guediguian (cinquante-cinq ans), le cineaste de Marseille,
de l’Armenie, du " petit peuple ", prend un risque en s’attaquant au
polar. En litterature, cela n’a jamais ete son genre. Mais il a vu de
nombreux films noirs, americains et francais, et il a une predilection
pour ceux des annees 1960 avec un Gabin vieillissant, " où le gangster
file un pyjama a son copain pour qu’il passe la nuit chez lui, après
avoir mange des rillettes et bu un coup de rouge " (1). " Lady Jane "
est un vrai polar, tous les ingredients y sont, l’argent, les flingues,
la nuit, le silence. Guediguian a gagne son pari, meme si le rythme
et l’intensite faiblissent dans la seconde partie.
" Lady Jane " est une chanson des Rolling Stones. Muriel, Francois
et Rene la chantaient a l’epoque où ils donnaient aux pauvres du
quartier les manteaux de fourrure voles. Ils se sont separes après
un braquage qui a mal tourne. Ils ont refait leur vie. Muriel s’est
embourgeoisee, elle a un magasin de luxe a Aix-en-Provence. Rene n’a
pas decroche. Pour le fisc, il est employe d’une boîte de nuit, mais
il passe son temps a fourguer des bandits manchots dans les bistrots
et il fait travailler quelques tapineuses. Francois, lui, bricole sa
vie : marie, père de deux enfants, il a une entreprise de reparation.
Muriel les appelle a l’aide le jour de l’enlèvement de son fils Martin.
Reconstitution de ligue
" Lady Jane " a tout de la reconstitution de ligue dissoute : la bande
de l’Estaque, personnages et acteurs confondus. " Mes trois acteurs
", dit Robert Guediguian en parlant d’Ariane Ascaride (Muriel),
Jean-Pierre Darroussin (Francois), Gerard Meylan (Rene).
Trois excellents acteurs, devrait-il ajouter. " La placidite et
le desespoir froid " chez Gerard Meylan, " le côte Electre : une
silhouette noire a la fois vengeresse et victime " chez Ariane
Escaride, " la tendance electrique, un peu "chien fou", chez
Jean-Pierre Darroussin (2). Il faudrait aussi ajouter Jean-Louis
Milesi, le coscenariste, avec lequel Guediguian a ecrit " Lady Jane
", film desespere et a multiples entrees sur la vengeance, l’amitie,
la disparition du monde d’hier, l’impossibilite de la transmission.
Les personnages sont a l’automne de leur vie. Le film, tourne en
hiver, n’annonce rien de bon. Les villes, Aix, Marseille, sont ocres,
l’etang de Berre, bleu pâle. Les couleurs s’estompent avec le temps,
elles virent au pastel. Les personnages sont engonces dans des manteaux
sombres et lourds. Comme leur existence.
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