CONFLITS GELES DU CAUCASE DU SUD : ASPECTS JURIDIQUES, DEVELOPPEMENTS RECENTS (ESISC)
UPJF.org
11/08/2008
France
Par le lieutenant-colonel (e.r) Renaud FRANCOIS Chercheur associé
a l’ESISC
La déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, le 17 février
dernier, immédiatement reconnue par les Ã~Itats-Unis puis par la
France et une trentaine d’autres pays, dont plusieurs Ã~Itats membres
de l’Union européenne, a eu pour conséquence Â" collatérale Â",
le déclenchement d’un inquiétant processus de réchauffement des Â"
conflits gelés Â" sud- caucasiens (Haut-Karabakh, Abkhazie et Ossétie
du sud). En mars dernier, un net regain de tension sur la ligne de
front du Haut-Karabakh s’est soldé par une quinzaine de morts de
part et d’autre. On a pu craindre, un instant, que ces accrochages
meurtriers – les plus violents depuis 1994 – donnent le signal de la
reprise généralisée des combats. Depuis fin juin, la situation ne
cesse de se dégrader en Abkhazie et en Ossétie du sud, en proie a
des violences quasi-quotidiennes et la tension latente entre Russie
et Géorgie semble portée a son paroxysme.
Le Haut-Karabakh, l’Abkhazie et l’Ossétie du sud, trois entités
qui n’ont fait, jusqu’a ce jour, l’objet d’aucune reconnaissance
officielle, tentent néanmoins, depuis le début des années 90,
d’affirmer une existence étatique pleine et entière. Les dirigeants
de ces trois provinces sécessionnistes estiment remplir un certain
nombre de conditions qui, a la lumière du cas kosovar, pourraient
leur permettre d’obtenir leur reconnaissance par la communauté
internationale.
Cette analyse a pour but de faire le point sur les aspects juridiques
de ces conflits, les formes d’organisation étatique et de gouvernement
adoptées, les principaux événements politiques et les médiations
internationales qui ont émaillé les quinze dernières années
d’existence de ces trois Â" non-Ã~Itats Â". Elle a également pour but
de faire le point sur les conséquences directes ou indirectes du Â"
syndrome kosovar Â".
1. Haut-Karabakh
La demande d’indépendance du Haut-Karabakh repose sur la déclaration
de sécession1, non reconnue, sur le référendum qui l’a confirmée
2, sur la Constitution en vigueur et sur la réaffirmation de
l’autonomie obtenue durant la période soviétique. La région a
développé son propre modèle d’Ã~Itat grâce au cessez-le-feu de
1994 qui lui a permis d’assurer une relative continuité politique
et institutionnelle. Officieusement, le Haut-Karabakh a, grâce a
ses propres structures politiques, administratives, judiciaires et
économiques, une existence étatique pleine et entière. Pour ses
autorités, la demande de pleine indépendance est parfaitement
justifiée.
A. Constitution
Le Haut-Karabakh s’est érigé en république, dotée d’un régime
présidentiel. Le préambule de la Constitution réaffirme le principe
d’autodétermination du peuple et rend un vibrant hommage a Â" la
lutte héroïque des générations passées et actuelles qui ont
contribué a la renaissance de la tradition historique de l’Ã~Itat
d’Artsakh3 Â". Avec pour objectif Â" l’unité de tous les arméniens
du monde Â", ce préambule met en avant et sacralise les liens avec
le reste de la communauté arménienne.
Les bases constitutionnelles de l’Ã~Itat sont la démocratie, la
séparation des pouvoirs, l’économie de marché et les libertés
individuelles. En matière religieuse, la Constitution affirme le lien
avec la Sainte Ã~Iglise apostolique d’Arménie, présentée comme Â"
Ã~Iglise nationale ayant une mission spirituelle unique pour la vie
du peuple de l’Artsakh, pour le développement de sa culture nationale
et pour l’affirmation de son identité nationale 4 Â".
En ce qui concerne les droits fondamentaux, la Constitution dresse la
liste des droits politiques et sociaux, individuels et collectifs. Pour
des raisons de sécurité nationale et d’ordre public, d’éventuelles
restrictions a certaines libertés (mouvement, association, parole
et opinion) sont prévues. En référence aux Â" glorieux combats
d’indépendance Â", l’Ã~Itat a un devoir d’assistance Â" envers les
vétérans invalides et les familles des combattants martyrs de la
liberté 5 Â".
Le président de la république est le chef de l’Ã~Itat. Il est le
garant de la Constitution. La procédure de destitution nécessite
le vote d’une motion de défiance, a la majorité des voix plus une
de l’Assemblée nationale, suivi d’un vote identique de la Cour
suprême et d’un deuxième vote de l’Assemblée nationale, cette
fois a la majorité renforcée des 2/3. Le gouvernement est l’organe
exécutif et le Premier ministre est nommé par le président de la
république. L’Assemblée nationale constitue l’organe législatif
du Haut-Karabakh. La législature est de cinq ans et le nombre de
députés est fixé par la loi. L’assemblée vote la confiance au
gouvernement et en cas de censure, ce dernier démissionne. Aucune
motion de censure ne peut être présentée durant l’état de guerre.
Le pouvoir judiciaire s’exerce au travers des Tribunaux de première
instance, des Cours d’appel et de la Cour suprême qui assume
également les fonctions de Conseil constitutionnel. L’indépendance
de la justice et des magistrats est garantie constitutionnellement. Le
procureur général et le médiateur de la république complètent
le cadre judiciaire.
Le budget et les comptes de l’Ã~Itat sont contrôlés par la Cour des
comptes qui vérifie, aussi, l’utilisation des dons et subventions
en provenance d’autres Ã~Itats et organisations, en particulier ceux,
importants et essentiels, en provenance de la Diaspora.
Les deux derniers chapitres sont consacrés a l’administration locale
et aux procédures d’adoption, d’amendement et de référendums
constitutionnels . Le dernier article stipule que Â" jusqu’a la
restauration de l’intégrité territoriale de la république du
Haut-Karabakh et la définition de ses frontières, l’autorité de
l’Ã~Itat s’exerce sur tous les territoires qui se trouvent sous la
juridiction de fait de la république du Haut-Karabakh Â".
B. Le clan des Â" Karabakhtcis 6 Â"
Robert Kotcharian devient le 24 décembre 1994, le premier président
élu du Haut-Karabakh. Il cesse ses fonctions en mars 1997 quand
il rejoint Erevan, capitale de la Â" mère patrie arménienne Â",
pour y assumer les fonctions de Premier ministre avant de devenir,
l’année suivante, président de la République arménienne. Son
successeur actuel a la présidence de la République arménienne, Serge
Sarkissian, est lui aussi originaire du Haut-Karabakh. Une telle Â"
complicité clanique Â" des élites politiques du Haut-Karabakh et
d’Arménie confirme, en l’absence d’une reconnaissance formelle de
la république du Haut-Karabakh par l’Arménie ou d’un réel projet
d’union ou d’annexion, la communauté de pensée et d’action entre
les deux Républiques arméniennes.
C’est Arcady Ghukasian qui, en septembre 1997, succède a Kotcharian,
a Stepanakert7. Réélu en 2002, et ne pouvant constitutionnellement
se représenter pour un troisième mandat, il quitte définitivement
le pouvoir, et la vie politique, le 19 juillet 2007. Son successeur,
Bako Sahakian, tout auréolé d’une réussite certaine au sein des
organes de sécurité de la république8, est élu sur un programme
essentiellement axé sur la reconnaissance internationale du
Haut-Karabakh d’après le modèle kosovar.
L’exemple récent du Kosovo permet aux autorités de Stepanakert
de relancer le débat sur le statut et la reconnaissance de leur
république. Elles font valoir que, contrairement a la république
balkanique, le Haut-Karabakh n’a pas eu besoin, depuis quinze ans,
de forces de maintien de la paix pour assurer sa sécurité. Elles
annoncent, le 12 mars dernier, leur intention de procéder, avec
l’Arménie, a la reconnaissance du Kosovo. Pour l’instant la situation
du Haut-Karabakh reste en dehors des préoccupations des autorités
russes, qui semblent beaucoup plus attachées a se servir des autres
conflits gelés sur le territoire sud caucasien pour contrecarrer
les intentions occidentales et atlantistes de la Géorgie.
C. Les médiations
Les différentes propositions avancées depuis 1994 par les
organisations médiatrices couvrent la palette qui va du modèle Â"
Ã~Itat associé Â" a la variante du modèle Â" andorran Â" en passant
par les modèles Â" Ã~Itat commun Â", Â" tchéchène Â" ou Â" chypriote
Â". Les pourparlers sont conduits sous l’égide de l’Organisation
pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) qui a mis sur
pied un organe ad hoc, le Groupe de Minsk, une troïka composée
des Ã~Itats- Unis, de la France9 et de la Russie. En 2004, après
avoir pris acte du rejet par le nouveau président azerbaïdjanais,
Ilham Aliev, des propositions de Â" solution globale Â" mises sur le
tapis au cours de la décennie précédente, cette troïka lance un
nouveau processus appelé Processus de Prague.
Le 14 mars 2008, alors que l’Arménie vient de proclamer l’état
d’urgence 10, l’Assemblée générale des Nations unies adopte une
nouvelle résolution. Présentée par le représentant azerbaïdjanais,
elle consacre la pleine et entière souveraineté territoriale de
l’Azerbaïdjan et demande le retrait des troupes arméniennes du
Haut-Karabakh et des zones occupées. Similaire aux résolutions de
1993 11, elle recoit le soutien de la Géorgie et de la Moldavie,
toutes deux inquiètes des manÅ"uvres russes sur le front de
l’Abkhazie, de l’Ossétie du sud et de la Transnistrie.
Les pays membres du Groupe de Minsk ont voté contre cette
résolution. Ils la jugent peu propice a un rapprochement des parties
au conflit. Pour les médiateurs du Groupe de Minsk, le statut final
du Haut-Karabakh doit être le fruit de négociations menées, a la
fois, dans un esprit de compromis et dans le respect des principes
légaux internationaux. Les deux présidents, l’Azerbaïdjanais
Ilham Aliev et l’Arménien Serge Sarkissian, se sont entretenus,
en tête a tête, a Saint-Pétersbourg, le 6juin dernier, en marge
du sommet de la Communauté des Ã~Itats indépendants (CEI). Un
signal encourageant. Au cours de cette entrevue, ils sont convenus de
poursuivre les discussions actuelles sur la base des Â" principes de
base Â", connus sous le nom de Propositions de Madrid12, un document
qui détermine le cadre de base pour une solution pacifique et durable
au conflit.
C’est dans ce contexte qui semble favorable a la reprise du dialogue
que le Groupe de Minsk précise ses nouvelles propositions, consistant
en un retour des réfugiés azéris, a la restitution a Bakou des sept
provinces occupées servant de zone tampon entre le Haut-Karabakh et
l’Azerbaïdjan et a la tenue d’un référendum, reconnu par toutes les
parties. Le corridor de Latchine, véritable cordon ombilical entre
l’Arménie et le Haut-Karabakh, serait définitivement attribué au
Haut-Karabakh, tandis que l’Azerbaïdjan se verrait octroyer un passage
vers le Nakhitchevan, province occidentale, enclavée entre Arménie,
Turquie et Iran. Ces propositions doivent maintenant être évaluées
par les différentes parties, mais il est intéressant de noter
qu’elles n’ont pas été rejetées d’emblée par les protagonistes.
2. Abkhazie
Les bases légales de la demande d’indépendance de l’Abkhazie se
fondent sur la déclaration d’indépendance du 23 juillet 1992, non
reconnue, sur la Constitution entrée en vigueur le 26 novembre 1994,
sur le référendum du 3 octobre 1999 et sur la réaffirmation du lien
historique ininterrompu avec la République autonome abkhaze du temps
de l’époque soviétique. Le 18 octobre 2006, l’assemblée populaire de
la république vote une résolution appelant la Fédération de Russie,
les organisations et la communauté internationales a reconnaître
son indépendance.
La région a développé un modèle d’Ã~Itat qui, grâce au
cessez-le-feu imposé en 1994 et garanti par un contingent de force
de maintien de la paix de la CEI a très forte coloration russe,
a permis une relative continuité politique et institutionnelle.
A. Institutions
La république d’Abkhazie possède deux gouvernements Â" parallèles
Â". Un gouvernement Â" de fait Â", installé a Soukhoumi, et un
gouvernement Â" de droit Â" qui, jusqu’au 27 juillet 2007, siégeait
comme gouvernement Â" en exil Â" a Tbilissi avant de venir s’installer
dans la partie du territoire abkhaze sous contrôle des autorités
de Tbilissi (un peu moins de 15% de la totalité du territoire).
1) Le gouvernement Â" de droit Â"
Le bicéphalisme gouvernemental remonte a septembre 1993 quand le
conseil des ministres de la république autonome d’Abkhazie quitte
la capitale, Soukhoumi, après les événements au cours desquels le
président est tué. De 1993 a 2004, le gouvernement Â" en exil Â"
est dirigé par Tamaz Nadareishvili 13, qui n’a de cesse de vouloir
reconquérir par la force la partie de territoire perdue. Suspecté
de liens avec des groupes paramilitaires, il est, après avoir perdu
la confiance du Conseil suprême abkhaze, remplacé en janvier 2004
par Malchaz Akishbaia 14.
Le retour en Abkhazie du gouvernement Â" en exil Â" s’opère en 2006,
lors de la crise de Kodori, haute vallée d’Abkhazie sous contrôle de
la Géorgie et point clé stratégique en termes de transits militaire
et civil. Principalement peuplée de Géorgiens d’ethnie svane, cette
haute vallée se sent plus proche du seigneur de guerre local Emzar
Kviziani 15 que de Tbilissi. Son groupe, qui a combattu aux côtés des
troupes du président géorgien de l’époque, Ã~Idouard Chévardnadzé,
avait été dissous après la Révolution des Roses. Le 22 juillet
2006, Emzar Kviziani entre en dissidence et proclame la résistance
armée contre Tbilissi qui répond par un ultimatum. Un court conflit
de six jours se déclenche et, un instant, l’on a pu craindre que toute
la région s’embrase. Le gouvernement Â" de fait Â" de Soukhoumi voit
en effet d’un très mauvais Å"il l’arrivée de troupes géorgiennes a
proximité du territoire qu’il contrôle. Une telle présence militaire
géorgienne dans la vallée de Kodori viole en effet les dispositions
de l’accord de cessez-le-feu de mai 1998. Emzar Kviziani réussit a
s’enfuir et l’on pense qu’il aurait trouvé refuge a Soukhoumi.
Le gouvernement Â" de droit Â" milite pour une solution de type
fédéral, comme celle qui avait été en son temps présentée par
le président Chévardnadzé et qui prévoyait une fédération
géorgi enne composée de sept entités autonomes dont une serait
l’Abkhazie réunifiée.
2) Gouvernement Â" de fait Â" et Constitution
La Constitution de la république Â" de fait Â" d’Abkhazie 16 comporte
sept chapitres. Le Chapitre I établit les bases fondamentales de
l’ordre constitutionnel. La république d’Abkhazie se fonde sur le
droit historique des peuples a l’autodétermination. Son territoire,
qui comprend les provinces historiques de Sadz, Bzyb, Guma, Dal-Zabal,
Abjua et Samyrakan, est Â" indivisible, inviolable et inaliénable
17 Â". La langue officielle est l’abkhaz, mais la langue russe est
reconnue comme deuxième langue officielle.
Le Chapitre II traite des droits de l’homme et des libertés civiles. Y
sont rappelés les droits de la Déclaration universelle des droits
de l’homme et ceux des autres conventions internationales. Des
restrictions a l’exercice de ces droits sont prévues en cas de
coup de force, d’atteinte a la sécurité intérieure de l’Ã~Itat,
d’insurrection armée et d’incitation a la haine sociale, raciale,
nationale ou religieuse.
Le pouvoir législatif fait l’objet du Chapitre III, dans lequel
sont précisées la composition du Parlement et la durée de la
législature. Les lois sont votées a la majorité simple. L’Abkhazie
est une république qui confère a son président des pouvoirs
étendus. Le vice-président, qui remplit les missions qui lui sont
dévolues par le président et assume l’intérim en son absence, est
élu en même temps que lui. Le conseil des ministres est responsable
devant le président qui détient le pouvoir de nomination.
Le pouvoir judiciaire (Chapitre V) s’exerce au travers des Cours de
première et seconde instance et de la Cour suprême. Le Chapitre VI
détaille le fonctionnement des pouvoirs locaux et le dernier chapitre
est consacré aux procédures de révision constitutionnelle.
a) Ã~Ivénements majeurs depuis la sécession
Les événements politiques qui ont émaillé la période de la
déclaration d’indépendance expliquent le caractère fortement
présidentiel du régime. De 1994 a 2004, les fonctions de président
sont assumées par Vladislav Ardzinba. Il est élu président de la
république par le Parlement abkhaze a l’instauration du cessez-le-feu
et est confirmé a ce poste lors de l’élection présidentielle du 3
octobre 1999. En 2003, sa santé chancelante le contraint a laisser
la direction du gouvernement au Premier ministre Raul Khajimba. Ce
dernier, soutenu par les autorités russes, est proclamé vainqueur
du scrutin présidentiel de 2004.
Cette élection, entachée d’irrégularités et de malversations,
entraîne de nombreuses contestations et manifestations. La Cour
suprême, appelée a trancher, déclare vainqueur Sergei Bagapsh, le
candidat de l’opposition. Le 6 novembre, sous la pression du président
sortant, cette même Cour revient sur sa décision, ce qui déclenche
l’occupation du siège de la télévision par les partisans de Bagapsh,
tandis que les partisans de Khajimba s’emparent du Parlement.
Devant la menace, non voilée, d’intervention directe de Moscou, les
deux rivaux acceptent le 5 décembre de procéder a une nouvelle
élection a la suite d’un accord de partage des pouvoirs qui
attribue a Bagapsh la présidence de la république et a Khajimba,
la vice-présidence. Le 5 janvier 2005, ils obtiennent 91,54% des voix.
Les élections législatives de 2007 donnent 28 sièges aux trois
partis du gouvernement tandis que l’opposition constituée de l’Unité
du peuple abkhaze, du Parti communiste et de l’Union des citoyens
russes en obtient 7.
b) Le syndrome kosovar
Fin 2007, le débat politique est relancé par l’imminence de
la déclaration d’indépendance du Kosovo, présentée comme un
précédent historique préjudiciable au principe de l’intégrité
territoriale des pays. Le net regain de tensions entre Tbilissi et
Moscou est alimenté par les obstacles géorgiens a l’adhésion
de Moscou a l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et par
les réactions épidermiques du Kremlin a la volonté géorgienne
d’adhésion a l’OTAN. En rétorsion, le gouvernement russe lève les
sanctions militaires contre l’Abkhazie et invite tous les Ã~Itats
membres de la CEI, y compris la Géorgie, a suivre son exemple et a
signer le document de 199618.
Le 13 mars 2008, la chambre basse de la Douma russe, lors d’une
session spéciale, envisage la reconnaissance de l’Ossétie du sud, de
l’Abkhazie et de la Transnistrie. En marge de cette session où il est
venu exposer son point de vue, le président indépendantiste Sergei
Bagapsh fait devant la presse référence au cas du Kosovo19. Pour lui
la décision concernant l’indépendance du Kosovo est Â" une violation
manifeste du droit international qui nie l’appartenance historique
de cette province, qui n’a jamais été autonome, a la Serbie Â".
Et de rappeler que la République socialiste soviétique autonome
d’Abkhazie a été arbitrairement privée de son autonomie par une
décision de Joseph Staline et de Lavrentii Beria qui l’ont ainsi
rattachée a leur pays d’origine, la Géorgie.
3. Ossétie du sud
Les bases légales de la demande d’indépendance de l’Ossétie du sud
sont similaires a celles du Haut-Karabakh et a celles de l’Abkhazie. A
savoir, la déclaration d’indépendance20, non reconnue, les deux
référendums21 qui l’ont confirmée, la Constitution et la continuité
de l’autonomie accordée a la région du temps de l’empire soviétique.
a) Constitution et institutions
Cette région a développé, elle aussi, son propre modèle d’Ã~Itat
a la faveur du cessez-le-feu de 1992 et grâce a la présence sur son
territoire d’un contingent de troupes de maintien de la paix de la CEI,
a forte coloration russe. Ce qui lui permet, depuis cette date, de
se prévaloir d’une relative continuité politique et institutionnelle.
La nouvelle Constitution entre en vigueur le 23 décembre 1993. Elle
remplace le corpus législatif soviétique22. En 1994, selon les
nouvelles dispositions constitutionnelles, se tient le premier scrutin
présidentiel. Au nombre des candidats, Lyudvig Chibirov, qui en tant
que président du Parlement, assume la charge de président depuis
septembre 1993. Il remporte l’élection et est de nouveau réélu
lors du scrutin de 1996, avec près de 65% des voix. Le Premier
ministre Vladislav Gabaraev, qui se présentait avec un programme
fondé sur la sécession et la réunification avec l’Ossétie du nord
n’obtient que 20% des suffrages. La même année, Lyudvig Chibirov
et son homologue géorgien, Ã~Idouard Chévardnadzé, paraphent le
Â" Mémorandum sur la sécurité et la compréhension réciproque
Â". En 1997, ils signent des accords sur l’aide économique et le
retour des personnes déplacées. Ces différents accords jettent les
bases d’une négociation sur le futur statut de la région. Ã~Idouard
Chévardnadzé propose une solution fédérale mais, soutenu par son
Parlement, Lyudvig Chibirov préfère opter pour la sécession et
l’adhésion a la CEI.
Aux élections législatives de mai 1999, le Parti communiste obtient
39% des voix et, deux ans plus tard, le 13 juin 2001, Dimitri Sanakoyev
succède a Merab Chigoyev, Premier ministre démissionnaire. Ã~Iliminé
dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2001 – il a
a peine recueilli 20% des voix – Lyudvig Chibirov cède la place a
Ã~Idouard Kokoity, qui obtient au premier tour 48% des suffrages avant
de s’imposer, le 6 décembre, avec 53% face a Stanislav Kochev, le
challenger qui s’était qualifié pour le deuxième tour. Sa campagne
était organisée et financée par le clan des frères Tedeyev,
Albert et Jambulat, clan qui était entré en conflit avec Lyudvig
Chibirov. Ce groupe mafieux règne sans partage sur les trafics entre
l’Ossétie du sud et la Russie, en particulier sur l’axe autoroutier
qui relie les deux pays. En 2003, le 1er juillet, Ã~Idouard Kokoity,
se souvenant fort a propos du vieil adage attribué a Machiavel – Â"
n’aie point de complices, ou élimine-les après t’en être servi Â",
organise un raid éclair contre ce clan. Il démet les deux frères
de leurs fonctions officielles (l’un était Secrétaire du conseil de
sécurité et l’autre membre du comité pour les droits de l’homme),
il fait procéder au désarmement de leurs services de sécurité
privée et surtout les prive de leurs très lucratives activités
de mainmise sur les services douaniers et de transport de fret. Pour
faire bonne mesure, Ã~Idouard Kokoity limoge également les ministres
de la Défense, de la Sécurité et de la Justice 23.
Une fois consolidé au pouvoir, le président Kokoity poursuit le
projet politique d’une Ossétie du sud unie a sa sÅ"ur du nord,
indépendante de la Géorgie et avec un statut de membre associé de
la Fédération de Russie. A cette fin, il ne cesse de rejeter toute
tentative de médiation, accusant les négociateurs, au premier rang
desquels se trouve l’OSCE, d’être les suppôts de Tbilissi.
b) Deux présidents "de fait" et pas de gouvernement "de droit"
Le 12 novembre 2006, l’imbroglio politique aboutit a un résultat
pour le moins surprenant pour ce minuscule territoire. Il a deux
présidents Â" de fait Â" et ne possède aucun gouvernement Â" de droit
Â". C’est en effet a cette date qu’Ã~Idouard Kokoity et son Premier
ministre Dimitri Sanakoyev se déchirent mutuellement en organisant
simultanément leur propre scrutin présidentiel et référendum. Le
référendum de Kokoity propose l’indépendance, celui de Sanakoyev
propose la reprise des négociations avec Tbilissi. Alors qu’Ã~Idouard
Kokoity obtient 98% des voix de la population uniquement ossète,
Dimitri Sanakoyev recueille 96% des voix d’un électorat mixte,
ossèto-géorgien. Les deux référendums sont adoptés dans des
proportions similaires. Le 1er décembre 2006, Sanakoyev se proclame
élu président de l’Ossétie du sud, s’installe a Kurta dans la
zone sous contrôle géorgien tandis que Kokoity retrouve son bureau
présidentiel de Tskhinvali.
Le 10 mai 2007, le président géorgien Mikhaïl Saakachvili reconnaît
a Dimitri Sanakoyev le titre de Â" chef de l’administration provisoire
de l’Ossétie du sudÂ". Ce dernier prend la parole le lendemain devant
le Parlement géorgien24 et, le 26 juin 2007, il prononce devant le
Parlement européen un discours dans lequel il propose un accord sur
le modèle italien du Haut-Adige / Sud-Tyrol.
Les tendances centripètes du gouvernement de Tbilissi issu de
la Révolution des Roses poussent les autorités géorgiennes a
rechercher par tous les moyens la restauration de l’intégrité
territoriale. Ce qui a pour résultat d’exacerber les tensions entre
les deux communautés. Depuis la création d’une administration
parallèle, la crise est devenue beaucoup plus ouverte et a une
incidence négative sur les travaux de la Commission de contrôle
qui réunit en son sein l’Ossétie du sud, la Géorgie et la Russie.
En mars 2008, Tbilissi propose, sous peine de retrait, le changement du
format de cette commission de contrôle en l’ouvrant aux représentants
de l’UE, de l’OSCE ainsi qu’aux représentants de l’administration
provisoire de l’Ossétie du sud. Face aux menaces géorgiennes
de retrait pur et simple de la commission de contrôle, le chef
des négociateurs russes, Yuri Popov, remarque que pour pouvoir le
faire, la Géorgie aurait dÃ", dans un premier temps, se conformer aux
accords de Sotchi, signés en 1992 par Tbilissi et Moscou. Ces accords
prévoyaient la signature d’un traité qui engage les signataires
sur la voie de l’interdiction du recours a la force pour résoudre la
question du statut de l’Abkhazie et de l’Ossétie du sud. Le 17 juillet
dernier, le président Saakachvili refuse encore une fois un tel
traité en le déclarant Â" inutile parce que la Géorgie ne prépare
aucune invasion25 Â". De plus, il n’est absolument pas disposé a
reconnaître comme représentants légitimes les gouvernements Â"
de fait Â" des deux territoires sécessionnistes. Accepter leurs
signatures constituerait, a ses yeux, un dangereux précédent.
4. Conclusion
En dépit du fait que les autorités arméniennes, azerbaïdjanaises
et géorgiennes ont claironné que la déclaration d’indépendance
du Kosovo ne pouvait constituer un cas d’école pour la résolution
des conflits sud-caucasiens, elles ont, par la suite, adopté une
attitude différente. Si l’indépendance du Kosovo ne constitue pas
un Â" précédent Â", chacune des trois nations sud-caucasiennes
y trouve cependant son compte et tire de cet événement ce qui
l’intéresse et sert ses intérêts. Avec pour résultat une attitude
a l’opposé des fidèles soutiens et alliés. Haut- Karabakh oblige,
l’Azerbaïdjan refuse de reconnaître l’indépendance du Kosovo
alors que son principal soutien, la Turquie, l’a reconnue. Idem pour
Tbilissi, tandis que Washington, son mentor occidental, a été le
premier pays a la reconnaître, dans les minutes qui ont suivi sa
proclamation. A l’inverse de l’Azerbaïdjan, Erevan n’exclut pas la
reconnaissance de cette indépendance, quitte a froisser ses soutiens
russes et iraniens qui y sont farouchement opposés.
Le 4 mars dernier, le Parlement de la république d’Ossétie du sud
en appelle officiellement au Secrétaire général des Nations unies,
au président de la Fédération de Russie, au Conseil de l’assemblée
fédér ale de la fédération russe, a la Douma, aux chefs d’Ã~Itat
de la CEI et aux pays membres de l’UE pour qu’ils reconnaissent son
indépendance sur la base des principes d’autodétermination et sur
l’existence des bases légales pour la création et le développement
d’un Ã~Itat souverain26.
Trois jours plus tard, le Parlement de la République abkhaze adresse
une demande analogue au Secrétaire général des Nations unies,
au président du Conseil de sécurité et aux parlements de tous les
pays du monde27.
Aucun de ces deux appels n’a recu le moindre écho favorable. Bien
au contraire. Le Conseil de l’Europe, l’OSCE, l’UE, l’ONU et les
Ã~Itats-Unis condamnent unanimement le rapprochement en cours entre
la Russie et les deux provinces sécessionnistes. Rapprochement qui
s’apparente a une reconnaissance, si ce n’est politique du moins Â"
de fait Â", et qui avec l’établissement de liens de coopération
privilégiÃ& #xA9;e contribue a renforcer l’emprise de Moscou.
On pourrait redouter que de tels agissements, qui ont pour résultat
immédiat un net regain de tensions, aient le même effet sur le
conflit du Haut-Karabakh. Les encouragements russes envers les
provinces sécessionnistes sont en effet ressentis avec beaucoup
de crainte et d’appréhension a Bakou. Il apparaît cependant peu
probable que le différend arménoÂazerbaïdja nais connaisse un
processus analogue. Alors que les provinces rebelles de Géorgie sont
sous le contrôle de forces de maintien de la paix de la CEI, qu’elles
sont majoritairement peuplées de citoyens russes et qu’elles sont
frontalières de la Russie, le Haut-Karabakh est en dehors de la zone
d’influence russe. Le seul garant dont ce territoire peut se prévaloir
est l’Arménie. Une Arménie qui a toujours écarté avec suspicion28
les propositions et tentatives russes, de ces dernières années,
d’incorporer diplomatiquement le Haut-Karabakh dans la problématique
de l’Abkhazie, de l’Ossétie du sud et de la Transnistrie.
La Â" guerre des nerfs Â" a laquelle on assiste depuis quelques
semaines ouvre la porte a un possible Â" dérapage incontrôlé Â"
dans une région au bord de l’explosion. La moindre étincelle,
la plus petite des provocations peut embraser la poudrière
sud-caucasienne. Entre une Russie qui, pour contrecarrer les
aspirations atlantistes de Tbilissi, ne semble avoir que l’option
Â" entretien a feu doux du conflit Â" et une Géorgie qui rêve
secrètement d’une situation où les Occidentaux n’auraient
d’autre choix que l’intervention, l’équilibre est délicat. Si
jusqu’a présent les chancelleries ont réussi a Â" contenir Â" les
protagonistes, on peut craindre, avec les passions qui s’exacerbent,
les coups de mentons virils et belliqueux, les rodomontades
guerrières, l’intensification de la course aux armements et la
montée en puissance des forces, que le point de non retour soit
malheureusement rapidement atteint.
© ESISC 2008-08
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N otes
1. Votée par le Soviet de la région autonome du Haut-Karabakh,
le 2 février 1988, cette déclaration de sécession envisageait,
a terme, la réunification avec l’Arménie.
2. Boycotté par les citoyens azerbaïdjanais, le référendum du 10
décembre 1991 prévoyait la sécession d’avec l’Azerbaïdjan et la
création d’un Ã~Itat indépendant.
3. Artsakh est l’ancien nom arménien de la région alors que le nom
de Karabakh est d’origine plus récente et turque.
4. Article 10.2.
5. Article 60.3.
6. Terme utilisé pour nommer les Arméniens du Haut-Karabakh.
7. a capitale de la république du Haut-Karabakh. Nommée ainsi par
les Arméniens, elle est appelée Xankändi (ou Khankendi) par les
Azerbaïdjanais
8. Depuis 2001, il était directeur du Département d’Ã~Itat de la
sécurité nationale.
9 A l’origine, la Finlande était le troisième membre du Groupe de
Minsk. Ã~@ la suite de manÅ"uvres diplomatiques arméniennes, elle a
cédé sa place a la France qui, aux yeux des négociateurs d’Erevan,
semble plus favorable a leurs thèses.
10. Pour faire face aux violentes manifestations dues au résultat
de l’élection présidentielle.
11. Résolutions 822, 853, 874 et 884.
12. C’est a Madrid, en novembre 2007, que le Groupe de Minsk présente
aux négociateurs azerbaïdjanais et arméniens leurs nouvelles
propositions.
13. Décédé en 2004, Tamaz Nadareishvili était lié a la dynastie
abkhaze des Chervachidzé. A la chute de l’empire soviétique,
désertant les rangs du Parti communiste, il se rallie au Mouvement
géorgien de libération nationale. Pendant la guerre d’Abkhazie, il
est élu chef du gouvernement en exil, et de 1993 a 1995, il occupe un
siège au Parlement géorgien ainsi qu’un poste ministériel au sein
du gouvernement de Tbilissi. Il affichera une prudente neutralité
au moment de la Révolution des Roses.
14. Ancien ministre géorgien de l’Economie et des Finances
(1999-2001), de la Défense (2004) et membre du conseil national de
défense (2004).
15. Leader du groupe paramilitaire des Â" Chasseurs Â".
16. Consultable sur le site du gouvernement non reconnu
d’Abkhazie.
17. Article 4.
18. Décision du Conseil des chefs d’Ã~Itat du 19 janvier 1996.
19.
20. En date du 20 septembre 1990 avec, en sus, l’expression de la
volonté de rejoindre l’Union soviétique sous le nom de République
soviétique d’Ossétie du sud.
21. Du 19janvier 1992 et du 12 novembre 2006.
22. L’Ossétie du sud est un régime présidentiel. Auparavant,
la fonction de chef de l’Ã~Itat était assurée par le président
du Parlement.
23. ;s=f&o=160302&am p;apcstate=henicrs2003
24.
25.http://w ww.globalsecurity.org/military/library/news/2008/0 7/mil-080717-rianovosti02.htm
26.
27. 20of%20Parlament%20Eng.html
28. Sur les conseils d’Erevan, les représentants de Stepanakert ont
récemment décliné l’invitation qui leur avait été faite de venir
exposer, le 13 mars dernier a Moscou, devant les députés de la Douma,
leur point de vue sur les perspectives de règlement du conflit.
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