Des milliers de Turcs demandent "pardon" aux Armeniens

Des milliers de Turcs demandent "pardon" aux Arméniens
LE MONDE | 19.12.08 | 16h02 . Mis à jour le 19.12.08 | 19h52
ISTANBUL CORRESPONDANCE

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En quatre jours, plus de 13 000 Turcs ont signé la pétition lancée, lundi 15
décembre, sur Internet. "Ma conscience ne peut pas accepter que l’on reste
indifférent et que l’on nie la "grande catastrophe" subie par les Arméniens
ottomans en 1915, dit le texte d’introduction. Je rejette cette injustice et,
pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et soeurs
arméniens. Je leur demande pardon."

Ces excuses adressées aux victimes du génocide de 1915 ont été formulées par
quatre intellectuels issus de la gauche turque : l’économiste Ahmet Insel, le
professeur de sciences politiques Baskin Oran, le spécialiste des questions
européennes, Cengiz Aktar, et le chroniqueur, Ali Bayramoglu. Le mot génocide
n’apparaît pas, l’expression "grande catastrophe", utilisée par les Arméniens,
lui a été préféré.
Mais cette initiative inédite de la société civile est un pas supplémentaire
dans le rapprochement entre Turcs et Arméniens, opéré ces derniers mois,
notamment depuis la visite à Erevan du président de la République, Abdullah Gül,
en septembre. "Cela montre qu’il y a au moins 13 000 personnes qui ne croient
pas dans la propagande officielle, constate Cengiz Aktar. Mais il faut y aller
doucement. Sur ces terres où ont été commis des massacres, la mémoire a été
gommée et remplacée par le négationnisme."
Sans surprise, les réactions haineuses ont fusé de toutes parts à l’annonce de
cette campagne. "Une blague", selon Ertugrul Özkök, le rédacteur en chef du
quotidien nationaliste Hürriyet, voire "un acte de trahison", pour la députée du
Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), Canan Aritman. Une soixantaine de
diplomates à la retraite ont estimé, eux, qu’il s’agissait d’une initiative
"inacceptable, fausse et défavorable aux intérêts de la nation. Une telle
tentative, incorrecte et partiale est irrespectueuse pour notre histoire et
revient à trahir notre peuple", ont-ils écrit. Pour le député du Parti de
l’action nationaliste (MHP), Deniz Bölükbasi, "si quelqu’un doit s’excuser, ce
sont les intellectuels et les Arméniens. Ils devraient s’excuser pour les
atrocités dont ont souffert des milliers d’Anatoliens".
Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas été le moins virulent. "Je ne
l’accepte pas, je ne la soutiens pas. Nous n’avons commis aucun crime, donc nous
n’avons pas besoin de nous excuser", a-t-il riposté, mercredi. Certains
intellectuels, tels Nuray Mert ou Murat Belge, critiquent eux aussi cette
logique de repentance.
Plus mesuré, le président Abdullah Gül, loin de condamner la pétition, a estimé
que chacun était libre de donner son opinion. Même tonalité au ministère des
affaires étrangères : "Nous n’avons pas à réagir contre cela", répond un
porte-parole, mettant en évidence des divergences au sein du gouvernement.
Les intellectuels à l’origine de ces excuses publiques reçoivent, eux, depuis
quelques jours, des tombereaux d’insultes et de menaces de mort. Pas de quoi les
décourager pour autant. "C’est une ligne de crête en Turquie, souligne Cengiz
Aktar. Ce qui est nouveau, c’est que ce qui n’était qu’un débat d’intellectuels
devient les prémices d’un débat public."
Baskin Oran souligne, lui, la nécessité pour la fière Turquie de se doter d’une
"culture du pardon". Un mot encore difficile à entendre. "C’est une chose qui
n’existe pas chez nous, admet Uraz, un étudiant qui envisage de signer la
pétition. Mais on vit sous ce régime qui n’accepte pas la réalité historique et
si cela ne change pas, c’est un peu de notre faute."

Guillaume Perrier
Article paru dans l’édition du 20.12.08

http://www.lemonde.fr/europe/artic