Les Echos, France
mercredi 24 décembre 2008
L’Arménie pourrait finalement profiter du projet Nabucco
par BENJAMIN QUÉNELLE (À MOSCOU)
Le conflit russo-géorgien a changé la donne dans le Caucase. L’Arménie
essaie de tirer son épingle d’un complexe jeu économico-diplomatique.
« La guerre en Géorgie a ouvert de nouvelles options pour Nabucco… »
Politologue réputé à Erevan, Alexandre Iskanderian dit tout haut ce
que beaucoup espèrent tout bas en Arménie : la nouvelle donne dans le
Caucase créée par le conflit cet été entre la Géorgie et la Russie
devrait désormais bénéficier à ce pays jusque-là laissé de côté par
les projets d’oléoducs et de gazoducs. Avec pour principale ambition :
persuader la Turquie d’accepter un passage par le territoire arménien
de Nabucco, gazoduc qui à l’horizon 2012 doit approvisionner l’Europe
en gaz provenant d’Azerbaïdjan et d’Asie centrale.
Depuis le début, le Kremlin voit d’un mauvais oeil Nabucco et pousse
un gazoduc concurrent. « Mais la guerre a montré à quel point il était
devenu risqué de faire confiance à la Géorgie », ironise à Erevan un
haut diplomate européen. « Les Turcs ont sans doute tiré les leçons :
ils ne peuvent pas entièrement dépendre de la Géorgie pour le transit
du gaz. Il leur faut ouvrir d’autres couloirs énergétiques. » C’est là
que l’Arménie peut jouer un rôle nouveau.
« Apaisement »
Reste que Erevan passe pour le meilleur allié de la Russie, et la
Turquie est en froid avec l’Arménie. « Mais le conflit géorgien a
indirectement permis un apaisement des relations entre la Turquie et
l’Arménie », rappelle Alexandre Iskanderian. « La Russie, après avoir
réaffirmé sa présence en Géorgie, a maintenant tout intérêt à
favoriser la normalisation des relations turco-arméniennes. » Car
Moscou a besoin du soutien de la Turquie pour avancer sur l’autre
conflit gelé : le Haut-Karabakh. La résolution des différends
turco-arméniens passe par la résolution du sort de cette province
pro-arménienne en territoire azéri, autoproclamée indépendante mais
reconnue par aucun Etat.
Moscou a cet automne relancé le processus de paix sur le Haut-Karabakh
entre Erevan et Bakou, dont la Turquie est alliée. Mais le jeu du
Kremlin n’en reste pas moins trouble. « Jusque-là, Moscou avait fait
beaucoup de rhétorique contre les projets énergétiques occidentaux
dans le Caucase. Aujourd’hui, ses troupes ne sont plus qu’à quelques
kilomètres de BTC… », rappelle le haut diplomate européen, dans une
allusion à l’oléoduc traversant la Géorgie. « Le message est donc
clair : pour tout projet, il ne faudra pas sous-estimer la présence
retrouvée de la Russie dans cette région ! »