Genocide armenien : "En Turquie, Obama a fait preuve d’habilete"

Le Monde, France
7 Avril 2009

Génocide arménien : "En Turquie, Obama a fait preuve
d’habileté"

LEMONDE.FR | 06.04.09 | 20h19 ¢ Mis à jour le 07.04.09 | 08h20

Raymond Kevorkian, directeur de recherches à l’université
Paris-VIII, spécialiste de la Turquie et de l’Arménie,
décrypte la position du président américain concernant
le génocide arménien. Ce dernier a répondu, lundi 6
avril à Ankara, à un journaliste : "Mon opinion est publique,
et je n’en ai pas changé. Je veux aujourd’hui mettre l’accent non sur
mes opinions personnelles, mais sur les opinions des peuples turc et
arménien. S’ils peuvent avancer… le monde entier doit les
encourager." Il a aussi estimé que le dialogue entre les deux pays
"pourrait très vite porter ses fruits".

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6?¬ par mois + 30 jours offertsQue pensez-vous des propos de Barack
Obama à Ankara sur le génocide arménien ?

Le président américain a fait preuve d’habileté. Il a
d’abord fait référence aux positions qu’il a exprimées
comme sénateur et comme candidat à la présidence des
Etats-Unis. A l’époque, il avait prôné une
véritable rupture : dire clairement qu’il s’agissait d’un
génocide. Alors que George Bush, comme ses
prédécesseurs, s’y était toujours refusé et
était personnellement intervenu auprès des parlementaires, en
octobre 2007, alors que la Chambre des représentants
s’apprêtait à adopter un texte sur ce sujet.

Aujourd’hui, Barack Obama, aux côtés du président turc,
Abdullah Gül, a fait savoir qu’il refuse de se dédire au
profit de la realpolitik, alors qu’on aurait pu craindre que les
considérations éthiques et morales passent au second plan
maintenant qu’il est au pouvoir. Cependant, il n’a pas prononcé le
terme de "génocide", ménageant ainsi la Turquie, et s’est
refusé à instrumentaliser le sujet. Alors qu’Ankara est
prêt à beaucoup de concessions sur d’autres dossiers pour
éviter que les Etats-Unis reconnaissent le génocide ` ce
qu’ont fait toutes les autres grandes puissances occidentales `, il n’en a
pas joué. Ses déclarations devraient donc satisfaire chaque
camp.

Peut-on imaginer que le président américain aille plus loin
lors de la date anniversaire du génocide arménien, le 24 avril
?

Traditionnellement, le président américain s’exprime à
cette date pour évoquer une "grande catastrophe", des "massacres" ou
un "crime contre l’humanité". Barack Obama ira-t-il plus loin ? Il
faut souligner qu’une nouvelle motion de reconnaissance du génocide a
été déposée au Congrès, mi-mars, par les
élus qui défendent la diaspora arménienne aux
Etats-Unis, forte d’un million de personnes et constituée en
lobby. Mais je ne pense pas que le président parlera
expressément de génocide, ce qui provoquerait sans doute le
rappel par Ankara de son ambassadeur aux Etats-Unis. Et ce dossier ne
paraît pas actuellement une priorité pour Washington,
confronté à la crise économique internationale et aux
bourbiers irakien et afghan. Les Etats-Unis ont besoin de soutien, et
notamment celui de la Turquie, dont ils attendent qu’elle serve de
plate-forme pour rapatrier leurs troupes d’Irak.

Doit-on s’attendre alors à un statu quo ?

Barack Obama a dit qu’il privilégie pour l’instant le dialogue entre
les Turcs et les Arméniens engagé depuis quelques mois, qui
vise à établir des relations diplomatiques entre les deux pays
et à ouvrir leur frontière commune. Les deux parties seraient
proches d’un accord, mais des rumeurs identiques, dans les années
1990, ne s’étaient jamais concrétisées… Jusqu’ici,
Ankara posait notamment deux conditions que son petit voisin ne peut
accepter : qu’il renonce à soulever la question du génocide,
et qu’il fasse des concessions sur le dossier du Haut-Karabakh, à
majorité arménienne, qui s’est autoproclamé
indépendant [en 1991] pendant la guerre remportée par
l’Arménie sur l’Azerbaïdjan (allié à la
Turquie). Barack Obama peut avoir une influence sur la Turquie pour mettre
fin à ces exigences, et a peut-être d’ores et
déjà mis la pression, en privé, lors de son entretien
avec M. Gül. Washington semble ainsi miser sur le fait que, une fois
leurs relations diplomatiques établies, Ankara et Erevan
règleront eux-mêmes leur différend sur le
génocide. Le président américain a laissé toutes
les options ouvertes, ce lundi.

Propos recueillis par Claire Ané

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