L’Express, France
30 Avril 2009
Chronique;
Espoir et patience
Makarian Christian
Aux portes de l’Europe, un des conflits les plus anciennement
installés dans les consciences comme sur le terrain est en train de
vivre un tournant décisif. La Turquie et l’Arménie viennent en effet
de signer une « feuille de route », en vue d’une normalisation
bilatérale, alors que ces deux pays n’ont jamais entretenu de
relations diplomatiques. Ce document, immédiatement salué par les
Etats-Unis, la France et l’Union européenne comme un grand espoir, a
été paraphé le 23 avril, à la veille même de la commémoration du
génocide des Arméniens, perpétré par le gouvernement turc en
1915. Résultat, soucieux de ménager le principal allié de l’Amérique
au Moyen-Orient, Obama, pourtant acquis à la cause arménienne, n’a pas
prononcé le mot qui qualifie parfaitement les événements de 1915. Mais
il a effectué une subtile percée en réaffirmant qu’il n’avait pas
changé d’« opinion personnelle » quant au qualificatif de « génocide
», en invoquant le chiffre de 1,5 million de victimes, alors que la
Turquie en admet moins de la moitié, et en employant officiellement
l’expression arménienne de « Meds Yeghern » (grande calamité).
La « feuille de route » recèle des clauses essentielles. En premier
lieu, l’échange d’ambassadeurs – accrédités d’abord à Tbilissi, avant
l’inauguration de chancelleries à Ankara et à Erevan – accompagné de
l’ouverture de la frontière entre la Turquie et l’Arménie – fût-ce à
titre symbolique ou temporaire dans un premier temps. Suivra la
préparation d’accords destinés à rétablir les relations
commerciales. Mais des obstacles de taille demeurent. Du côté turc,
admettre la réalité du génocide de 1915 est un tabou national ; or
c’est un point non négociable pour la diaspora arménienne. Du côté
d’Erevan, accepter la résolution du conflit du Haut-Karabagh, enclave
arménienne dans le territoire azerbaïdjanais, occupée militairement
par l’Arménie depuis 1993, ne peut se faire par le renoncement à cette
terre ancestrale qu’exigent les Azéris, soutenus par les Turcs. Une
chose est sûre : pour en arriver à cette fragile avancée, il a suffi
que deux géants le souhaitent. La Russie fait pression sur Erevan dans
un élan de reconquête du Caucase, avec le dessein de redevenir la voie
d’exportation privilégiée du pétrole de la Caspienne. Et l’Amérique
pèse sur Ankara afin d’obtenir une victoire diplomatique signi
ficative et de reprendre pied sur ce même Caucase, en bordure de
l’Iran, plus habilement qu’elle ne l’a fait en Géorgie.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress