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Nouvelle donne diplomatique dans le sud du Caucase

Le Monde, France
29 avril 2009 mercredi

Analyse;
Nouvelle donne diplomatique dans le sud du Caucase

L’année 2009 sera-t-elle celle des changements au sud du Caucase ?
Jadis passage obligé de toutes les invasions, la région (Géorgie,
Azerbaïdjan, Arménie) est devenue le laboratoire de la politique
étrangère des puissances environnantes : la Russie, la Turquie et
l’Iran. Preuve que les choses bougent, la Turquie et l’Arménie,
privées de relations diplomatiques depuis 1993, sont tombées d’accord
le 22 avril, sur une quot; feuille de route quot; en vue d’une
normalisation.

Des deux côtés de la frontière arméno-turque, infranchissable depuis
1993, les populations se prennent à espérer. Pour les villageois
turcs, la frontière fermée est une aberration, surtout depuis
l’ouverture de vols charters depuis Istanbul et Trabzon vers
Erevan. Optimiste, le président arménien Serge Sarkissian a dit
qu’elle aurait lieu dès cette année. Des deux côtés, l’ouverture est
perçue comme la promesse d’un mieux-être économique. Si l’Arménie n’a
jamais lié la question de la frontière à la reconnaissance par Ankara
du génocide des Arméniens de l’Empire ottoman, le sujet est un de ceux
qui fchent. La petite Asie veut bien créer une commission mixte
d’historiens chargés d’étudier les massacres de 1915, mais pas
question de parler de quot; génocide quot;, sans doute par peur d’une
exigence de compensations territoriales.

En Turquie, les grandes causes nationales – les questions kurde,
arménienne, chypriote, l’armée et son rôle au sein de l’Etat – forment
le socle du dogme kémaliste que rien ne semble ébranler. Mais les
liens entre les deux ennemis historiques se sont pourtant récemment
réchauffés.

A l’automne 2008, le président turc Abdullah Gül a été convié à un
match à Erevan, du jamais-vu ! Depuis, la quot; diplomatie du football
quot; a fructifié, les contacts se sont multipliés. Des fans du ballon
rond pensent que la réouverture de la frontière aura lieu lors du
match retour, le 14 octobre 2009.

En visite à Ankara début avril, le président américain Barack Obama a
encouragé la reprise du dialogue. Et Moscou n’est pas contre. Mais le
dégel turco-arménien ne fait pas l’affaire de l’Azerbaïdjan
turcophone, la république pétrolière des bords de la Caspienne. C’est
en signe de soutien à Bakou qu’Ankara avait coupé les ponts avec
l’Arménie en 1993. Le récent rapprochement a suscité l’ire du
président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, qui a annulé au dernier moment
une visite à Ankara.

Pris de court, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a rappelé
que la normalisation n’aurait pas lieu tant que la question du
Haut-Karabakh, un territoire disputé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie,
ne serait pas réglée. En guerre avec l’Arménie de 1988 à 1994, Bakou a
perdu le contrôle de cette enclave, désormais administrée par les
Arméniens, ainsi que de sept régions azerbaïdjanaises.

Voisines, l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’ignorent. Le statut de
l’enclave est un noeud impossible à dénouer. Les Azerbaïdjanais
défendent le principe de l’intégrité territoriale, les Arméniens du
Karabakh, le droit à l’autodétermination. Un cessez-le-feu a été signé
en 1994, mais les escarmouches sont régulières. La résolution de ce
conflit latent, source majeure d’instabilité dans la zone, changerait
la donne.

La Russie y a tout intérêt. Depuis la guerre d’août 2008 contre la
Géorgie, Moscou se retrouve coupée de son partenaire stratégique
arménien. Les bases militaires russes d’Arménie, autrefois
approvisionnées en matériel par voie ferrée depuis Batoumi (Géorgie),
ne le sont plus depuis que Moscou et Tbilissi se tournent le dos. Le
passage des convois ne peut plus avoir lieu par le territoire
géorgien. Et impossible de traverser l’Azerbaïdjan, à couteaux tirés
avec l’Arménie.

Si un espoir de paix émerge à la frontière turco-arménienne, les
choses vont plutôt mal à la frontière russo-géorgienne. Conquises
militairement après la guerre d’août 2008 entre la Géorgie et la
Russie, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, régions géorgiennes
théoriquement quot; indépendantes quot; mais occupées par l’armée
russe, sont toujours des foyers d’instabilité. Depuis le
cessez-le-feu, les incidents se sont multipliés, faisant douze morts
dans les rangs géorgiens.

Le cessez-le-feu négocié par le président Nicolas Sarkozy prévoyait le
retrait des troupes sur les positions antérieures au conflit. Ce point
n’a pas été respecté. La mission des observateurs européens déployés
sur les lignes de démarcation est incertaine. Les pourparlers à Genève
sont poussifs. Pour le Kremlin, le président géorgien Mikheïl
Saakachvili est l’incarnation du mal. quot; La tentation est grande de
faire comme les Américains en Irak, renverser le dictateur quot;,
explique l’analyste militaire russe Pavel Felguengauer, qui n’exclut
pas une nouvelle guerre.

Interrompue en août 2008 par le cessez-le-feu, la marche de l’armée
russe sur Tbilissi hante l’état-major, dont le désir secret, rapporte
l’expert, est quot; de voir la Géorgie transformée en Confédération,
démantelée en plusieurs petits morceaux quot;. Ainsi, le projet
géorgien d’adhésion à l’OTAN tomberait à l’eau. Le seul obstacle, mais
Moscou ne le voit pas, c’est que les opposants à M. Saakachvili, qui
manifestent pour demander sa démission, ne sont pas mieux disposés
envers l’élite russe en épaulettes, obsédée par la reconquête de sa
puissance perdue.

Marie Jégo

Correspondante à MoscouCourriel :jego@lemonde.fr

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