Le Figaro, France
Lundi 10 Août 2009
Patrick Devedjian à la poursuite des petits maîtres français
SÉRIE D’ÉTÉ (8) Le ministre de la Relance menait sa carrière d’avocat
avant de rejoindre Jacques Chirac, dont il était le conseil, dans
l’aventure du RPR. S’il a gardé l’amour du droit, sa passion discrète
pour le dessin français du XVIIe siècle aurait pu le conduire sur de
tout autres voies.
par Garat, Jean-Baptiste
« RAISONNABLEMENT », s’il ne s’était pas lancé dans la politique,
Patrick Devedjian serait avocat. « Je ne vais pas vous raconter
d’histoires, assure-t-il. J’étais avocat avant de faire de la
politique. Si je n’en avais pas fait, je le serais encore probablement
aujourd’hui. » Inscrit au barreau de Paris en 1970, après une maîtrise
de droit à Assas et des études à Sciences Po, Patrick Devedjian s’est
spécialisé dans les affaires de droit artistique et littéraire. Pas
question, cependant, d’arracher au ministre de la Relance le nom d’un
de ses clients d’alors : près de quarante ans plus tard, il s’en
réserve le secret.
En fréquentant le Paris culturel et notamment le monde de l’édition,
son chemin a croisé celui de Raymond Aron. Rencontre essentielle pour
le jeune fils d’immigré arménien. Rencontre qui lui ouvre les horizons
de la politique. Avec le vieux maître à penser de la droite française
et son collègue de Sciences Po Georges Liebert, il fonde la revue
Contrepoint en mai 1970. Il devient ensuite conseil de l’étoile
montante de l’UDR, Jacques Chirac. « Je l’ai défendu vingt fois, et
vingt fois nous avons gagné, souvent face à la presse », évoque-t-il,
non sans plaisir.
De la robe et du prétoire, le président UMP du conseil général des
Hauts-de-Seine conserve une maîtrise de la rhétorique qui a
déstabilisé plus d’un adversaire. Et un goût du plaidoyer orné de
petites saillies qui ont fait les délices des journalistes. « Je
préfère les petites phrases assassines aux grands discours creux »,
répète-t-il souvent.
Petit garçon, Patrick Devedjian ne rêvait cependant ni des tribunaux,
ni des tribunes de la République, mais de poussière et de vieilles
pierres. « Archéologue, c’était mon rêve. J’étais fasciné par ces
découvreurs de civilisation, le roman policier qui est derrière
l’archéologie. » Avec une prédilection pour la Grèce, qu’il découvre
dans les pages de Thucydide. Ou pour Byzance, à travers l’oeuvre du
chroniqueur et maître d’éloquence Michel Psellos. Auteurs antiques ou
médiévaux qu’il continue de lire, entre deux romans de Balzac cet
été. « Je n’avais pas lu toute la Comédie humaine. Je n’avais
également rien lu de Plutarque. Ils sont dans mes valises pour les
vacances. »
S’il n’envisage plus, à 64 ans, de devenir archéologue, Patrick
Devedjian n’en cultive pas moins un jardin secret qui entretient un
autre rêve. « C’est très prétentieux, mais j’aurais pu devenir expert
en peinture et dessins, lche-t-il enfin. Je suis très attaché à la
peinture française du XVIIe siècle. »
Décollation de saint Jean-Baptiste
C’est son père, Roland, et surtout son oncle, Vahram Devedjian,
peintre lui-même, qui l’initient et l’entraînent dans les galeries du
Louvre. « Mon oncle aimait énormément Delacroix et Géricault. Moi
aussi. Mais très rapidement je me suis attaché aux peintres français
du Grand Siècle. » Il évoque sa passion pour les maîtres : le Lorrain,
Nicolas Poussin, Eustache Le Sueur, Simon Vouet… Son goût, son oeil
se forment, notamment au contact d’Antoine Schnapper, gendre de
Raymond Aron et spécialiste de la peinture française formé auprès
d’André Chastel. Avec celui qui deviendra son ami, Patrick Devedjian
découvre les petits maîtres français, en particulier ceux dont le
travail a été influencé par l’Italie.
Avec ses « premiers deniers », il achète un anonyme : une décollation
de saint Jean-Baptiste. « Il n’a pas été identifié, mais je pense que
c’est un Colombel », dit-il. Élève de Le Sueur, influencé par Poussin
et Mignard, Nicolas Colombel fut chargé par Louis XIV de décorer
plusieurs appartements de Versailles. « Je l’ai payé cher, il y a
trente-cinq ans, et je l’aime », ajoute-t-il. Avant de se raviser : «
Enfin, cher par rapport à mes moyens. En fait, j’ai profité d’un trou
de vente à Drouot. Le tableau inscrit avant le mien avait été très
disputé. Dans le désordre qui a suivi cette vente, le public
commentant ou félicitant l’acquéreur, le commissaire-priseur a
poursuivi. Mon tableau n’intéressait plus personne, sauf moi. Je l’ai
emporté. Quelle émotion, quel plaisir ! »
D’autres achats ont suivi. « Peu de peintures, explique-t-il. Les
dessins étaient davantage dans mes moyens. À l’époque, j’en achetais
un tous les six mois. Ils me paraissaient chers mais en fait ils ne
l’étaient pas. Ils n’étaient simplement pas à la mode comme ils le
sont devenus ensuite. »
Dans les années 1970, les dessins de Jacques Stella, de Claude Mellan,
de Marc Restout et de ses enfants étaient encore abordables.
De quoi constituer une petite collection, où l’on pourrait lire l’«
itinéraire personnel » du ministre de la Relance, s’il la montrait. «
Mais je n’aime pas trop ça, explique-t-il. C’est très intime, une
collection. » « Aujourd’hui, je n’ai plus les moyens et surtout je
n’ai plus de temps. Il faut beaucoup de temps pour constituer une
collection. »
Il n’est pas rare, cependant, de croiser encore Patrick Devedjian dans
un train, le nez dans un catalogue de vente. Et il l’avoue, « il n’y a
pas longtemps », il a acheté un dessin de Gaspard Dughet, beau-frère
de Poussin.« Un très beau petit paysage », glisse-t-il, du plaisir
dans la voix. « Je n’ai pas les moyens de m’offrir un Poussin, mais je
peux m’offrir son beau-frère », se console-t-il. Le rêve, lui, ne
semble pas avoir de prix.