La resistance de Guediguian

La Tribune, France
Mercredi 16 Septembre 2009

la résistance de Guédiguian

par Yasmine Youssi

cinémaPour cette fois, Jean-Pierre Darrousin et Ariane Ascaride jouent
les seconds rôles au profit d’une escouade de jeunes acteurs emmenés
par Simon Abkarian et Robinson Stevenin, les rues de Paris remplacent
celles de Marseille. Le XIe arrondissement a pris le pas sur l’Estaque
et Robert Guédiguian a délaissé l’?uvre intimiste pour une fresque
historique.

Et pourtant. « l’Armée du crime » est peut-être l’un des films les
plus personnels du réalisateur, fils d’une mère allemande et d’un père
arménien et communiste. Comme le héros de son long-métrage, le poète
ouvrier Missak Manouchian, qui devait prendre la tête d’un important
réseau de résistance ? membre des fameux Francs-tireurs et partisans –
Main-d’?uvre immigrée (FTP-MOI) ? en 1943 avant de tomber aux mains de
la police française et d’être fusillé avec 22 de ses camarades. Ceux
de la célèbre « Affiche rouge ».Rien ne prédestinait Manouchian à
prendre les armes. Orphelin dès son plus jeune ge (son père a
probablement été massacré à l’occasion du génocide arménien en Turquie
en 1915 avant que sa mère ne meure de famine), le poète a débarqué en
France en 1925. Menuisier, man?uvre chez Citroën, adhérent du PC dès
1934, il suit par ailleurs des cours à la Sorbonne, traduit Baudelaire
et Verlaine en arménien, s’occupe de revues de littérature et écrit
ses propres poèmes. l’me humaine au scapelAmoureux de la France autant
que de la liberté, récalcitrant à l’idée de faire couler du sang, il
accepte néanmoins de diriger un groupe de résistants. Hongrois,
Arméniens, Italiens, Polonais, Roumains ou exilés espagnols, ouvriers
et juifs pour la plupart, beaucoup n’ont pas 20 ans. Mais tous se
lancent dans la bataille avec un courage sans faille, multipliant les
exécutions ou les sabotages, prêts à mourir pour un pays qui n’est pas
le leur mais qui a su les accueillir.Pour raconter cette « Armée du
crime », comme la qualifiait la police et l’occupant, Guédiguian
s’attache davantage à la vie de ces résistants qu’à leurs actions. Et
c’est ce qui fait la force du film. Le réalisateur ravive le Paris
populaire de cette époque, rappelle la solidarité qui régnait au sein
de ces quartiers d’immigrés bientôt décimés par la Shoah. Il fouille
l’me humaine dans ce qu’elle a de plus beau comme de plus
abjecte. Avec d’un côté Missak Manouchian, impeccablement campé par
Simon Abkarian, revenant avec dégoût sur le lieu de son premier
attentat, conscient d’avoir franchi à jamais la frontière séparant les
combattants du reste des hommes. Et de l’autre, Monique Stern, qui
donne le réseau auquel appartient son amoureux et prend goût aux
cadeaux du commissaire collabo qui l’a retournée. Mais c’est aussi une
certaine idée de la France que convoque Guédiguian. De ce pays de
liberté, d’égalité et de fraternité, hier encore perçu comme un phare
pour tous les damnés de la terre. n