Le livre du jour: Un Armenien et un Turc en thrrapie

Le livre du jour: Un Arménien et un Turc en thérapie

IL AURA donc fallu attendre 2009 pour qu’un Turc et un Arménien
acceptent d’évoquer ensemble la question du génocide de 1915 à travers
un livre. Dialogue sur le tabou arménien est un premier essai
concluant. L’économiste turc Ahmet Insel et le philosophe français
d’origine arménienne Michel Marian répondent aux questions de la
journaliste Ariane Bonzon, tels deux patients ayant enfin franchi le
pas du cabinet de psychanalyse pour surmonter leur traumatisme.

Car il s’agit bien d’une thérapie bilatérale à laquelle le lecteur
assiste. L’un est l’initiateur d’une pétition en Turquie demandant "
pardon aux Arméniens pour la Grande Catastrophe ", l’autre l’a
remercié publiquement pour son geste. D’un commun accord, ces deux
anciens militants d’extrême gauche ont dressé leur " feuille de route
" du dialogue, expression à la mode en Turquie et en Arménie, alors
que les deux Etats sont à quelques semaines de normaliser leurs
relations.

Mais si d’un côté, ce sont les Etats qui parlent paix et coopération,
de l’autre ce sont deux intellectuels qui essaient de retisser les
liens d’une histoire commune. La démarche est courageuse, le ton
parfois franc, parfois émouvant, tant ils abordent de façon simple des
sujets jusqu’alors refoulés dans les inconscients collectifs turc et
arménien. Matières anthropologiques, sociologiques, juridiques,
politiques et historiques, tout est utilisé de telle sorte que le
lecteur se dise que, finalement, Turcs et Arméniens ont plus
d’éléments en commun qu’on ne saurait le penser. Y compris le travail
de mémoire auquel se prête Michel Marian en s’interrogeant sur le
mouvement révolutionnaire arménien au XIXe-XXe siècle et sur le
terrorisme arménien (1975-1985), qu’il condamne.

Quant à Ahmet Insel, qui s’emmêle dans les fils de la définition du
concept de génocide, il nuance le cas arménien puis l’associe à la
liste des génocides en glissant un petit oui entre deux répliques de
son interlocuteur. Sans doute le mot lui brûlerait-il moins les lèvres
si son gouvernement abrogeait l’arsenal répressif des articles 301 et
305 du code pénal turc, qui menacent de peine de prison toute personne
qui porte atteinte à la dignité de la Turquie en évoquant le génocide
des Arméniens. Les hauts responsables n’ont pas été jetés en prison à
l’époque, pourquoi y envoyer des innocents quatre-vingt-treize ans
plus tard ?

Gaïdz Minassian

Dialogue sur le tabou arménienAhmet Insel et Michel Marian (entretien
avec Ariane Bonzon) Liana Levi, 150 p., 15 ¤.