Turquie-Armenie L’enjeu caucasien

L’Express, France
15 Octobre 2009

diplomatie;
Turquie-Arm©nie L’enjeu caucasien

par JEAN-MICHEL DEMETZ

ENCART: Historique : les ennemis h©r©ditaires Ankara et Erevan veulent
ouvrir leur fronti¨re commune. Sous la pression de Washington et de
Moscou, r©solus garantir les routes du gaz et du p©trole.

En signant, le 10 octobre, Zurich, deux protocoles visant r©tablir
les relations diplomatiques entre leurs deux pays, les ministres des
Affaires ©trang¨res turc et arm©nien, Ahmet Davutoglu et Edouard
Nalbandian, ont pos© un geste historique. Deux ennemis h©r©ditaires
s’engagent aller au bout du dialogue.

L’affaire n’est toutefois pas gagn©e. Il suffit de voir l’accueil
glacial rencontr© par le chef de l’Etat arm©nien, Serge Sarkissian,
lors de sa tourn©e mondiale, la semaine derni¨re, aupr¨s de la
diaspora. Celle-ci revendique 9 millions de membres, ©parpill©s de
l’Argentine l’Australie en passant par les Etats-Unis, le Canada, la
France, le Royaume-Uni et la Russie. Ni la religion ni la langue ne
rassemblent plus aujourd’hui cette communaut© issue de la Turquie
ottomane, dont le tissu conjonctif est la reconnaissance, sous le
titre de "g©nocide", des massacres de 1915. Cette crispation
identitaire sert d©sormais de ciment cette Arm©nie de l’ext©rieur,
qui p¨se num©riquement et financi¨rement plus que la petite r©publique
ravag©e par des d©cennies de sovi©tisme.

Or les protocoles n©goci©s entre les parties turque et arm©nienne sont
un compromis. Il est possible parce que l’Arm©nie reconna®t d©sormais
les fronti¨res actuelles et abandonne son aspiration r©cup©rer les
territoires perdus. Surtout, la question du g©nocide est renvoy©e
une sous-commission aux contours ce jour flous et qui sera charg©e
d’un "dialogue sur la dimension historique"…

C´t© turc, il a fallu ©galement l¢cher du lest. Alors qu’Ankara promet
qu’il n’est pas question d’abandonner les fr¨res turcophones
d’Azerba¯djan, en conflit avec l’Arm©nie, force est de constater que
l’alli© turc n’a pas obtenu par la n©gociation le retrait des forces
arm©niennes pr©sentes en Azerba¯djan. Par ailleurs, la r©cente
rencontre, en Moldavie, des chefs d’Etat des deux r©publiques
caucasiennes, Ilkham Aliev et Sarkissian, n’a d©bouch© sur aucune
avanc©e.

Hillary Clinton et Sergue¯ Lavrov, v©ritables parrains
De fait, le d©gel arm©no-turc doit surtout la conjonction d’int©rªts
communs de Moscou et de Washington. Ce qui explique qu’ Zurich, au
c´t© de quelques Europ©ens pr©sents, se sont retrouv©s, v©ritables
parrains de la signature, la secr©taire d’Etat am©ricaine, Hillary
Clinton, et son homologue russe, Sergue¯ Lavrov. Aux yeux du Kremlin,
en effet, la G©orgie est sortie du jeu et il s’agit de la marginaliser
en redessinant les nouvelles routes strat©giques du Caucase. Il faut
donc se rapprocher de l’Azerba¯djan, riche en hydrocarbures, quitte
peser sur ce client de la Russie qu’est l’Arm©nie. A la
Maison-Blanche, au mªme moment et pour des consid©rations li©es aussi
la s©curit© des approvisionnements (le pipeline
Bakou-Tbilissi-Ceyhan et le futur gazoduc Nabucco), on s’©nerve d’un
conflit que l’on juge archa¯que. Et quelle belle occasion de d©montrer
l’Europe, qui ren¢cle devant la perspective de son adh©sion, que la
Turquie peut ªtre un gage de stabilit© dans une r©gion d©sormais
vitale pour l’Occident !