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Le Livre Du Jour: Le Martyr d’un dialogue futur

Le Monde, France
10 décembre 2009 jeudi

Le livre du jour;
Le martyr d’un dialogue futur

LE PETIT OUVRAGE posthume d’Hrant Dink, journaliste turc d’origine
arménienne, assassiné à Istanbul en janvier 2007, est le manifeste
d’un homme d’action qui a laissé son empreinte sur le monde, sur nos
esprits : " Qui nous a adoucis à son seul toucher ", écrit en
préambule Etyen Mahçupyan, qui lui a succédé à la tête du journal
turco-arménien Agos.

Ce texte, écrit en 2005, est longtemps resté dans un tiroir. Après la
mort de l’intellectuel, qui faisait figure de porte-parole des
Arméniens de Turquie, sa publication s’est imposée.

Hrant Dink y livre une analyse sensible de l’état des relations entre
Turcs et Arméniens, " deux peuples proches, deux voisins lointains ",
qu’il cherchait inlassablement à réconcilier. Séparés par le poids de
l’histoire, " les Arméniens et leur traumatisme, d’un côté, les Turcs
et leur paranoïa, de l’autre, se vivent les uns les autres comme des
cas pathologiques ", écrit-il.

L’auteur explique dans ce court exposé que " le premier code du
cadenas " est la réouverture de la frontière commune entre les deux
pays, bouclée par Ankara en 1993. Quatre ans plus tard, son voeu n’est
pas loin d’être exaucé : la Turquie et l’Arménie ont lancé, après sa
mort, un processus de normalisation diplomatique. Ils pourraient
rouvrir la frontière dans les prochains mois, malgré les réticences et
les inquiétudes toujours vives de part et d’autre. En attendant, le
lourd héritage du génocide des Arméniens d’Anatolie pendant la
première guerre mondiale, et la négation de l’Etat turc, continuent
d’empoisonner les relations.

Hrant Dink, tué par un jeune fanatique d’extrême droite, aura tout
tenté pour " adoucir la paranoïa des Turcs " et atténuer le
ressentiment des Arméniens. Ouvrir le dialogue " pour déverrouiller
l’histoire " était son mot d’ordre. Pour cela, il était combattu par
les nationalistes turcs et parfois mal compris dans la diaspora
arménienne. Hrant Dink était l’un des seuls à pouvoir toucher les deux
communautés. Arménien de Turquie, il donne ici les clés pour sortir de
l’impasse et " mettre le désir à la place de la peur " : le désir de
découverte, de la vérité et de la réconciliation des peuples.

Les initiatives en faveur d’une introspection historique qui se
multiplient en Turquie, comme la pétition lancée pour demander pardon
aux Arméniens, signée par 30 000 personnes, ou la conférence sur les
massacres d’Adana, commis en 1909, se sont engouffrées dans la voie
qu’il a tracée.

Guillaume Perrier

Deux peuples proches, deux voisins lointains Hrant Dink Actes Sud, 200 p., 19 ¤

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