L’Express, France
21 Jan 2010
L’Arménie agite le spectre de l’échec du rapprochement avec la Turquie
EREVAN – L’Arménie a prévenu vendredi que le rapprochement avec la
Turquie risquait d’échouer, les deux pays s’opposant une nouvelle fois
sur la question du génocide des Arméniens au début du 20e siècle, une
dispute qui empoisonne leurs relations depuis des décennies.
"Si la Turquie n’est pas prête à ratifier les protocoles, si elle
continue à parler la langue des ultimatums, d’avancer des conditions
préalables et de faire obstacle au processus, alors je n’exclus pas
que les pourparlers échouent", a prévenu le chef de la diplomatie
arménienne, Edouard Nalbandian lors d’une conférence de presse.
La Turquie et l’Arménie ont signé en octobre 2009 deux protocoles
historiques prévoyant l’établissement de relations diplomatiques et
l’ouverture de leur frontière commune.
Mais la ratification parlementaire de ces documents n’a eu lieu dans
aucun des deux pays, qui s’accusent mutuellement de vouloir ralentir
le processus ou de chercher à changer unilatéralement le contenu de
ces textes.
Ainsi, cette semaine le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a
martelé que son pays ne pourra "jamais accepter" la décision de la
Cour constitutionnelle arménienne qui a jugé les protocoles légaux,
tout en soulignant qu’ils ne devaient pas contredire un article de la
déclaration d’indépendance de l’Arménie faisant référence au "génocide
de 1915".
M. Erdogan a alors accusé Erevan de chercher à "altérer le texte" des
accords turco-arméniens de normalisation.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu a d’ailleurs
estimé vendredi que la décision de la Cour contredisait "l’esprit et
la lettre des protocoles" et a réclamé à l’Arménie des "explications Ã
ce sujet".
"Les affirmations de la Turquie selon lesquelles (…) l’Arménie a
apporté le moindre changement à ces documents ne correspondent pas Ã
la réalité et sont absurdes", a rétorqué M. Nalbandian.
"Dire que l’Arménie retarde le processus est absurde (…) et nous
espérons que la Turquie ne va pas ralentir le processus en avançant
des explications factices", a-t-il ajouté, accusant Ankara de geler le
processus "depuis octobre".
La signature des protocoles n’a en effet pas effacé les désaccords
ancestraux entre les deux pays, notamment sur la question des
massacres et déportations d’Arméniens pendant les dernières années de
l’Empire ottoman. Erevan les qualifie de génocide, un terme rejeté par
Ankara, qui reconnaît néanmoins entre 300.000 et 500.000 morts.
Mais cette question n’est pas la seule à ralentir la mise en oeuvre
des protocoles, des responsables turcs ayant aussi prévenu que les
accords ne seraient pas ratifiés faute de progrès côté arménien sur
son conflit avec l’Azerbaïdjan, allié à la Turquie, pour la région du
Nagorny Karabakh.
L’Arménie refuse pour sa part de faire ce lien, et M. Nalbandian a
indiqué vendredi ne pas s’attendre "à une percée" dans les pourparlers
avec Bakou, notamment lors de la rencontre prévue lundi prochain, sous
l’égide de la Russie, des présidents arméniens et azerbaïdjanais,
Serge Sarkissian et Ilham Aliev.
"Il est difficile de dire ce qui va se passer en 2010. Si la partie
azerbaïdjanaise affiche une approche plus constructive, alors des
avancées seront possibles. Mais je ne peux pas dire qu’une percée
interviendra bientôt", a estimé le ministre.
La frontière turco-arménienne a été fermée en 1993 par la Turquie en
soutien à l’Azerbaïdjan, après la prise de contrôle par l’Arménie du
Nagorny-Karabakh, enclave arménienne en territoire azerbaïdjanais.
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