L’Armenie menace de revenir sur ses accords avec la Turquie

Le Figaro, France
11 Mars 2010

L’Arménie menace de revenir sur ses accords avec la Turquie

Par Pierre Rousselin

INTERVIEW – Le président Serge Sarkissian, qui a été reçu mercredi par
Nicolas Sarkozy, a accordé un entretien au Figaro. En l’absence d’une
ratification turque des protocoles signés en octobre dernier, il se
dit prêt à retirer sa signature.

LE FIGARO. – Pourquoi le processus de normalisation entre l’Arménie et
la Turquie est-il bloqué ?

Serge SARKISSIAN. – Notre histoire est douloureuse. Depuis 95 ans, la
Turquie nie la réalité du génocide commis en 1915 par l’empire
ottoman. Lorsque j’ai invité le président turc à Erevan pour assister
au match de football entre nos deux équipes nationales, mon objectif
était d’établir des relations entre nos deux pays sans condition
préalable. Lors de la signature des protocoles d’accord, en octobre
2009, il était convenu qu’ils seraient ratifiés dans des délais
raisonnables et sans conditions préalables. Nous avons dit que
l’Arménie ratifierait l’accord aussitôt que le Parlement turc le
ferait. Or, la Turquie n’arrête pas de poser des conditions préalables
à cette ratification, dont le principal concerne le Haut-Karabagh.

Que peut faire l’Arménie pour aider à résoudre la question du Haut-Karabagh ?

Nous déploierons tous les efforts nécessaires. L’Azerbaïdjan tente de
créer l’impression que l’Arménie et le Karabagh ne sont pas intéressés
par un règlement mais ce n’est pas la réalité. Nous devons mettre un
terme au blocus dont nous souffrons. L’Azerbaïdjan est dans une autre
situation et compte sur ses ressources naturelles et ses pétrodollars
pour acheter des armes et régler le problème par la force. Ils ne
cachent pas leurs intentions.

Redoutez-vous la guerre ?

La guerre n’est jamais souhaitable mais nous n’avons pas peur de
combattre s’il n’y a pas d’autre option. Mais le conflit doit être
réglé par des moyens pacifiques sur la base d’un compromis mutuel.

Avec la Turquie, comment lever le blocage ?

Le problème doit être réglé par les Turcs. Il est inadmissible au XXIe
siècle qu’une frontière soit fermée et que l’on parle de conditions
préalables. Établissons d’abord des relations et ensuite parlons de
tous les sujets. Nos deux pays aspirent à approfondir nos relations
avec l’Europe et à partager une communauté de valeurs avec l’Europe.
Cela exclut tout acte d’hostilité. La communauté internationale doit
se prononcer sur ce sujet.

Doutez-vous de la possibilité de normaliser les relations avec la Turquie ?

Nombreux sont ceux qui doutent. Pas seulement en Arménie. Mon
initiative en faveur de la normalisation a suscité beaucoup de
contestation parmi les Arméniens partout dans le monde. À cause de la
prolongation du processus de normalisation, les partisans des accords
sont de moins en moins nombreux.

Vous y croyez encore ?

Mon désir d’établir des relations normales est grand mais les
déclarations récentes de la Turquie me font croire qu’ils ne
ratifieront pas les protocoles dans un avenir prévisible. Nous avons
prévenu que si nous constations que les Turcs utilisent le processus
de normalisation à d’autres fins, nous adopterions des mesures
adéquates. Dans ce cas, nous retirerons notre signature des
protocoles.

L’Administration américaine a annoncé qu’elle bloquerait un vote à la
Chambre des représentants de la résolution reconnaissant le génocide
arménien adoptée en commission. Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, notre vœu le plus sincère est que les États-Unis, mais aussi
la Turquie et tous les pays au monde reconnaissent le génocide
arménien. Mais le Congrès américain et le département d’État ne
prennent pas leurs décisions en se basant sur notre opinion ou sur nos
souhaits.

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