LE GENOCIDE ARMENIEN DE 1915: PASSIONS AUTOUR DE LA RECONNAISSANCE
Par Dmitri Babitch, RIA Novosti
RIA Novosti
51076.html
15 Mars 2010
Russie
Dossier: La reconnaissance et la négation du génocide arménien
Les événements autour de la résolution du parlement suédois qui a
reconnu que le génocide du peuple arménien de 1915 était un fait
historique font boule de neige et sont défavorables aux rapports
arméno-turcs.
L’un des plus ambitieux projets de pacification – la réconciliation
entre l’Arménie et la Turquie – est en péril. En cas de réalisation
de ce projet, la frontière arméno-turque pourrait faire partie du
système de transit passant par la Transcaucasie et la Turquie et
contribuer au règlement des problèmes de nombreux pays de la région
et, en premier lieu, de l’Arménie elle-même, dont la situation
rappelle un état de blocus. Cette perspective de réconciliation et
de développement est remise en question.
Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas seulement
rappelé son ambassadeur de Stockholm, mais il a aussi déclaré que
son ambassadeur aux Etats-Unis, récemment rappelé pour une raison
analogue, ne reviendrait dans la capitale américaine que lorsque
Washington adoptera sa position sur les événements de 1915. Une
déclaration n’inspirant pas l’optimisme est également parvenue hier
d’Erevan: le président Serge Sargsian a déclaré que l’Arménie
pourrait retirer sa signature du protocole arméno-turc de 2009
sur le rétablissement des relations diplomatiques. Argumentant sa
décision, Serge Sargsian n’a mentionné le génocide qu’en passant,
en focalisant son attention sur le problème du Karabakh. Il est
néanmoins clair que la réaction d’Ankara offensé par la résolution
du parlement suédois et la tempête d’indignation dans la presse
turcophone fourniront a l’Arménie un argument de plus en faveur de
l’"ajournement du réchauffement".
En quoi consiste le litige historique? En 1915, lorsque la Russie
et la Turquie avaient combattu l’une contre l’autre dans le Caucase
pendant la Première Guerre mondiale, les dirigeants turcs accusèrent
les Arméniens résidant a proximité de la zone d’hostilités de
complicité avec l’armée russe. Il fut décidé de "déporter
temporairement" la minorité arménienne. Les Arméniens ayant
survécus a cette "déportation" la qualifièrent de génocide, car
plus d’1,5 million de leurs compatriotes furent tués. La Turquie
qualifie cela de conflit civil.
En Union Soviétique où vivaient de nombreux témoins de cet
événement, le génocide des Arméniens n’a pas été nié, il
trouvait un reflet, bien qu’estompé par les autorités, mais tout
de même intelligible, dans des livres, des films et des études
historiques. Voila un cas où l’URSS avait dit la vérité. Ses motifs
sont une question a part. Il est douteux qu’on puisse l’attribuer
aux souvenirs sentimentaux des exploits accomplis par l’armée russe
pendant la Première Guerre mondiale. Comme on le sait, chez nous,
on n’a toujours pas érigé de monument aux millions de Russes tombés
dans cette guerre. Le facteur turc y était très important: bien que
les relations entre la Turquie républicaine et l’URSS n’aient pas
été mauvaises depuis le début des années 1920, la Turquie adhéra a
l’OTAN après la Seconde Guerre mondiale. Le crime de l’empire ottoman
appartenant au passé aurait pu être facilement rappelé en cas de
détérioration des rapports avec les dirigeants de la République
de Turquie "bourgeoise". Il ne faut pas méconnaître non plus les
efforts des intellectuels arméniens qui, même dans le cadre du
régime totalitaire, ne permettaient pas que la tragédie de leur
peuple soit oubliée.
Quant aux Etats-Unis et aux pays de l’OTAN, ils tâchaient de ne pas
mettre l’accent sur les événements de 1915 afin de ne pas perdre un
allié très sÃ"r: la Turquie qui se renforcait peu a peu. En fin de
compte, le processus de règlement de comptes avec le passé avait
traîné des décennies pour parvenir jusqu’a nos jours, lorsque
la Turquie s’est transformée, d’Etat faible et instable du début
du siècle dernier, en pays puissant pouvant contraindre même les
Etats-Unis a tenir compte de ses intérêts. (Pour preuve, le refus de
laisser passer les troupes américaines en Irak et les raids lancés
contre les rebelles kurdes dans les Etats voisins). Ressentant sa
nécessité aussi bien pour l’Est que pour l’Ouest, Ankara a occupé
une position rigide en menacant de sanctions toutes les nouvelles
reconnaissances du massacre d’il y a 95 ans.
Et voici que les parlementaires américains et suédois ont décidé
de rétablir la justice: au moment de l’amélioration des relations
arméno-turques. Il faut y ajouter un autre scandale en Suède où un
peintre âgé de 63 ans a décidé de dessiner une nouvelle caricature
du prophète Mahomet, au nom de la liberté de la presse. Si tous
ces gens pensent vraiment qu’ils servent la cause de la liberté et
de la paix, il faut leur rappeler un proverbe: "Un imbécile servile
est plus dangereux qu’un ennemi".
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.