NEGATION DU GENOCIDE EN ARMENIE
par Jean Eckian
armenews
lundi29 mars 2010
Centre Ararat contre Institut du Caucase
L’auteur de l’article, Stepan Sargsyan, exprime ici une colère de bon
sens contre une decision de la juge du premier ressort qui par contre,
paraît s’etre retranchee sur le droit pour ne pas avoir a decider au
fond (elle ne prend en compte qu’une partie des faits reproches par
le demandeur)..
La decision de la Cour d’Appel confirmant la decision en premier
ressort n’est que peu commentee par l’auteur de l’article. Elle
n’en est que plus etrange. On comprend qu’" ARARAT " aille en
Cassation, mais il faut souhaiter qu’il n’ait pas a aller devant
la Cour Europeenne des Droits de l’Homme, ce qui serait enormement
prejudiciable pour tous les Armeniens.
La critique juridique que fait Stepan Sargsyan, meme si apparemment
il n’est pas juriste, est pertinente, structuree et convaincante :
il y a quelque chose qui ne va pas dans le système armenien.
Un detail : contrairement a ce qui est dit dans cet article, les
declarations de Bernard Lewis n’ont pas ete jugees au penal (l’action
devant cette juridiction avait ete jugee irrecevable). Il a ete
condamne au civil pour la faute civile qu’il a commise en portant
atteinte a la communaute armenienne. Les Armeniens de France n’ont
pas abandonne la lutte pour qu’une loi soit finalisee punissant
penalement la negation du Genocide en France. Le seul pays où la
negation du Genocide est interdite au penal est la Suisse.
Stepan Sargsyan exprime a la fin un desarroi que partageront une
majorite d’Armeniens. Il est plus que temps que les juristes de
la diaspora et d’Armenie, avec l’Assemblee Nationale d’Armenie,
s’attachent a combler, d’urgence et en priorite, ce trou
invraisemblable.
Un cas sans precedent est en cours de jugement dans les tribunaux
armeniens. Pour la première fois, des poursuites sont engagees
pour la negation du Genocide Armenien contre une organisation
non-gouvernementale armenienne. Le Centre "ARARAT" pour la Recherche
Strategique fait un procès a la fondation " Caucasus Institute (1) "
basee a Erevan, pour avoir publie un livre qui contient une negation
explicite du Genocide Armenien. Qu’une organisation armenienne basee
a Erevan puisse penser a publier un texte negationniste est assez
choquant. Mais encore plus troublante est la facon dont les tribunaux
armeniens ont traite cette affaire, impliquant du meme coup qu’il
est permis de nier publiquement le Genocide Armenien en Armenie.
D’après l’assignation deposee par le Centre "ARARAT", le " Caucasus
Institute " a publie a Erevan un livre en 2008 sous le titre "
Le Voisinage au Caucase : Turquie et Le Sud Caucase," qui comporte
egalement un article par un expert turc, Aybars Gorgulu. Dans ledit
article, l’auteur conteste le fait historique du Genocide Armenien
commis dans l’Empire Ottoman et en Armenie de l’Ouest en 1893-1923,
en usant de declarations explicites et de guillemets autour du mot
genocide. Dans un passage de l’article, on peut lire ce qui suit :
"La Turquie se sent lesee des accusations de l’Armenie accusant
l’Empire Ottoman d’avoir commis un genocide sur lequel restent de
serieux doutes et une discussion intense continue encore."
Dans son article, Gorgulu use egalement des expressions "
revendications de ‘genocide’ " et " allegations de ‘genocide’ " a
plusieurs reprises lorsqu’il decrie les reconnaissances internationales
du Genocide Armenien : ‘D’un autre côte, le Parlement Europeen
lui-meme, a plus forte raison les parlements des pays importants de
l’UE tels que l’Allemagne, la France, la Belgique, la Grèce, l’Italie
et les Pays-Bas, ont adopte les allegations de " genocide ". ‘
Mais pourquoi n’importe quel Armenien se respectant soi-meme
penserait-il a publier cette regurgitation pseudo-academique de la
propagande negationniste Turque a Erevan ? D’après le directeur du "
Caucasus Institute " Alexander Iskandarian, ceux qui se trouvent en
Armenie doivent savoir ce que pensent ses voisins. Il faut rappeler
a M. Iskandarian que la confrontation de plusieurs decennies de la
diaspora avec la constante reintroduction de ces " points de vue "
turcs ont coûte aux Armeniens de la diaspora des millions de dollars
en diverses initiatives educatives sur la prevention du genocide,
l’interdiction de le nier et action pour s’opposer aux campagnes
illegales de lobbying des allies negationnistes de la Turquie. Le
directeur de " Caucasus Institute " pense peut-etre que la diaspora ne
devrait pas etre le seul cadre de la propagande de guerre de la Turquie
et que ses frères en Armenie ont droit eux aussi aux delices de ce
loukhoum ? Dans ce cas, M. Iskandarian devrait transmettre ses idees
" progressistes " sur ce point aux Israeliens en sorte qu’eux aussi
publient le point de vue des partisans des nazis et les Ahmedinejads
du monde sur l’Holocauste.
Demande relative a la Declaration Publique de Retrait.
Ces memes considerations doivent avoir aussi rendu perplexe le
directeur du Centre "ARARAT" Armen Ayvazian, qui a demande que le
tribunal condamne le "Caucasus Institute " a retirer publiquement la
fausse declaration trouvee dans ce livre, interdire toute utilisation
du mot genocide entre guillemets et toute diffusion future de toutes
copies du livre, ainsi qu’a payer un dram armenien symbolique pour
dommage moral.
La decision de ce tribunal affecte directement la securite nationale
de l’Armenie, parce que la negation, comme l’ont affirme avocats et
chercheurs sur le genocide, est la continuation du genocide. Telle
est par exemple l’opinion du "Genocide Watch", vigilance genocide,
une organisation internationale respectee specialisee sur le problème
du genocide : "La negation est le huitième acte qui fait suite
systematiquement a un genocide. Il est parmi les indicateurs les plus
sûrs de massacres genocidaires futurs. La reponse a la negation est la
punition par un tribunal international ou les cours internationales."
Le President de l’Association Internationale des Chercheurs sur le
Genocide, Richard Stanton est du meme avis : "La negation est le stade
ultime du genocide. C’est une tentative continue de destruction du
groupe victime, psychologiquement et culturellement, pour nier a ses
membres meme la memoire de l’assassinat de leurs parents. C’est ce que
le gouvernement turc fait aujourd’hui aux Armeniens autour du monde."
En consequence logique de ce point de vue, la negation du genocide
a ete criminalisee dans un certain nombre de pays. Par exemple : En
2007, le tribunal de Lausanne en Suisse a condamne le leader du Parti
des Travailleurs turcs Dogu Perincek a 90 jours d’emprisonnement avec
sursis et a payer 3 000 francs suisses, parce qu’il avait publiquement
nie le Genocide Armenien.
En 1995, un tribunal francais a ordonne a Bernard Lewis de payer
des dommages-interets pour avoir nie le Genocide Armenien dans le
quotidien Le Monde et publier une retractation de ses declarations.
Comme philosophe renomme, Bernard-Henri Levy declare, " … les
negationnistes n’expriment pas une opinion, ils commettent un crime."
Visiblement, Alexander Iskandarian n’a pas lu cette citation ;
autrement, il devrait savoir faire la distinction entre une discussion
scientifique valable et la propagande criminelle. Les poursuites
engagees par le Centre ARARAT pour la Recherche Strategique soulignent
la facon dont cette offense affecte directement la securite de la
Republique d’Armenie, en particulier :
La negation du Genocide Armenien continue et constitue une partie
integrale de la politique genocidaire adoptee par la Turquie contre
les Armeniens ; c’est-a-dire qu’elle est developpee dans le cadre d’un
plan general a long terme pour detruire la Republique d’Armenie et
la nation armenienne, un acte ouvertement et dangereusement hostile
aux interets vitaux de l’Armenie.
En niant le Genocide Armenien, la Turquie essaie de tuer la memoire
historique des Armeniens, les priver de leur experience politique
obtenue a un prix incommensurable et priver les autorites de la
Republique d’Armenie des options strategiques de politique etrangère
qui conviennent, en particulier vis a vis de la Turquie.
La negation du Genocide Armenien est un objectif vise par la
ratification et la legalisation des consequences du genocide,
en particulier les expropriations et la deportation des Armeniens
de leur foyer, ainsi que la colonisation de l’heritage culturel du
peuple armenien par les turcs.
Par la negation du Genocide Armenien, la Turquie calomnie la Republique
d’Armenie et toute la nation armenienne, les accusant impertinemment
de propager des mensonges, d’opposition et de haine raciale. En
consequence, la Turquie et ses dirigeants compromettent la Republique
d’Armenie sur la scène internationale, insulte l’honneur et la dignite
nationale de la nation armenienne dans son ensemble.
Considerant que la negation est la continuation du genocide, etant
donnees l’existence de precedents juridiques de poursuites contre la
negation de genocide et les menaces que fait la negation du Genocide
Armenien sur la securite nationale de l’Armenie, on aurait pu supposer
que cette affaire n’ait pas pose de problèmes aux tribunaux armeniens.
Cela n’a cependant pas ete le cas. A tous les stades du processus,
cette affaire a affronte defis et obstacles.
Il n’y a pas suffisamment de Preuves selon le Tribunal
Après avoir admis cette affaire comme apte a etre jugee dans le système
judiciaire armenien, le tribunal du premier degre a decide en decembre
2009 qu’il n’y avait pas de base legale suffisante pour juger cette
affaire, et niant ainsi le droit du demandeur a un procès equitable. En
particulier, la juge Karine Petrossian a decide que l’usage du mot
genocide entre guillemets ne constitue pas un fait litigieux, et en
consequence, que l’affaire doit etre declaree irrecevable. On peut
d’abord s’etonner que l’affaire ait ete acceptee pour etre jugee s’il
n’y avait pas de litige. Ensuite, peut-etre devrions-nous nous adresser
ici a Karine Petrossian comme a l’ " Honorable " Juge, ou Honorable
" Juge ", ou les deux, ayant decide qu’il n’y a aucune offense a le
faire. De plus, la " Juge " n’a pas releve que l’action n’etait pas
seulement motivee sur l’emploi de guillemets autour du mot genocide,
mais sur la contestation explicite du Genocide Armenien, comme cite
plus haut. Il faut aussi noter que cette " Juge " a aussi failli en
n’indiquant pas la juridiction qualifiee pour entendre cette affaire,
comme l’exige la loi armenienne pour les cas dans lesquels tel tribunal
se declare incompetent. Cette omission et d’autres omissions flagrantes
du tribunal du premier degre ont ete a la base de l’appel du Centre
ARARAT devant la Cour d’Appel.
Malheureusement, la Cour d’Appel n’a pas vu les trous beants de
la decision du tribunal du premier ressort. Selon Armen Ayvazian,
le Centre " ARARAT " fera appel devant l’autorite supreme, la Cour
Armenienne de Cassation, et, si c’est necessaire, aller jusqu’au bout
devant la Cour Europeenne des Droits de l’Homme.
Il y a Quelque Chose qui ne va pas du tout dans le Système Judiciaire
Armenien
Arretons nous un instant et essayons de saisir la realite : le Genocide
Armenien a ete nie en Armenie et les tribunaux armeniens n’ont fait
que tolerer cette negation par leur position. Si le negationnisme
peut se developper grâce a un simple detail de forme juridique,
alors il y a quelque chose de serieusement mauvais dans le système
judiciaire armenien dans son integralite. Il n’y a aucun doute, la
manière laxiste et incompetente avec laquelle cette affaire a ete
geree par les tribunaux armeniens trahit l’ingerence politique des
autorites armeniennes dans la decision de ces juges.
Quelques officiels de haut niveau, tel que le chef de la Commission
Parlementaire sur les Affaires de l’Etat et le Droit David Harutiunian,
affirmaient sans vergogne que le renforcement de la punition de
la negation du genocide generait les negociations en cours avec la
Turquie. En consequence, il y a maintenant un precedent juridique
qui encourage la negation, ouvertement, du Genocide Armenien.
La diaspora a depense des millions autour du monde pour lutter contre
la negation du genocide, forcant les publications importantes a changer
leur politique de recours a l’expression " soi-disant genocide " ou
d’emploi des guillemets pour le mot genocide. A quoi sert cet effort
si le Genocide Armenien peut-etre ouvertement nie a Erevan et que le
juge dise que l’on peut employer les guillemets ?
Les editeurs de The Economist ne vont-ils pas en referer a cette
decision pour justifier leur decision de ne pas enlever les guillemets
ou appeler le Genocide Armenien par son nom ? Comme si cette decision
l’avait enhardi, le "Caucasus Institute " a invite l’auteur de cet
article lui meme a Erevan. Deux semaines seulement après la decision du
tribunal du premier degre, le negationniste Aybars Gorgulu arrivait a
Erevan pour participer a un seminaire a huis clos. Ce qui est encore
plus fort, le chef de l’Institut-Musee Armenien du Genocide Haïk
Demoyan assistait a ce meme seminaire. On peut se demander pour quelle
raison Demoyan parlait avec un negationniste derrière une porte close.
Peut-etre le " Caucasus Institute " et Alexandre Iskandarian
inviteront-ils la prochaine fois l’infâme Justin McCarthy lors du
centenaire du Genocide Armenien pour etre l’intervenant vedette de la
manifestation commemorant les " Massacres Mutuels Armeniens – Turcs de
1915 " a laquelle le beau monde ultra progressiste d’Erevan assistera.
Si nous ne voulons pas voir cela se produire, il nous revient a
tous d’assurer que la conclusion de cette affaire determinante soit
un succès.
Stepan Sargsyan
(1) Institut de reflexion, dont le but est d’encourager le discours
pluraliste dans les pays du Caucase Sud en contribuant au developpement
de la science politique et mediatique dans la region.
L’Institut du Caucase vient de publier un essai sur la typologie
socio-culturelle de la diaspora armenienne, où le rôle de la diaspora
dans la societe armenienne. L’ouvrage est le resultat d’une etude mene
conjointement par Viktor Dvatlov (expert sur la theorie de la diaspora)
et Edouard Melkonian (expert sur l’histoire de la diaspora armenienne).