Comment la Turquie et l’Arménie ont laissé s’envoler une chance de paix
Analyse
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dimanche18 avril 2010, par Jean Eckian/armenews
L’auteur de cet article, selon une habitude très répandue parmi les
journalistes politiques ou spécialistes de la région, renvoie dos à
dos Arméniens et Turcs sur la "tragédie" de 1915. Il écrit : "il a
semblé pendant une courte période qu’Erevan et Ankara défiaient le
déterminisme historique obscur de la région." Erevan n’a rien à
défier, à cacher ou à nier sur aucun des aspects des massacres commis
par les Turcs. Les Arméniens ne cessent de le répéter. Pourquoi alors
la plupart des journalistes présentent-ils les choses de cette façon
insidieuse ? Au mieux par habitude ou au pire, par complaisance avec
les autorités turques…la même complaisance qui anime les Lewis,
McCarthy et autres Veinstein. Thomas Van de Waal écrit explicitement
que ce sont les turcs qui retardent la ratification des protocoles. Il
fait sur le Karabagh, une analyse originale et fondée : il est clair
que l’Azerbaïdjan est en fait encouragé à préparer la guerre.
Malheureusement, à la fin, sur la question de la reconnaissance du
Génocide, il retombe dans les mêmes astuces complaisantes envers les
Turcs. Au lieu de "tragédie", "massacres" ‘catastrophe" ou tout
simplement génocide, il écrit… holocauste arménien.
Comment la Turquie et l’Arménie ont laissé s’envoler une chance de paix
par THOMAS DE WAAL | 15 avril 2010, Foreign Policy
Peu de frontières sont fermées sur cette terre mondialisée, mais la
frontière entre l’Arménie et la Turquie est encore une zone interdite
où s’arrête la voie ferrée. La frontière fermée est une anomalie
étrange dans une Europe nouvelle, et cette anomalie résulte de deux
tragédies anciennes : le conflit toujours non résolu du début des
années 1990 entre l’Arménie et l”Azerbaïdjan allié de la Turquie, et
la catastrophe de 1915 au cours de laquelle la population entière de
l’Anatolie de l’Est a été déportée ou tuée aux derniers jours de
l’Empire Ottoman.
Les habitants de chaque côté de la frontière veulent qu’elle soit
ouverte. Le mois passé, je me suis envolé de la capitale arménienne
Erevan à Istanbul – les deux pays au moins ont une liaison aérienne.
L’allure des hommes d’affaire arméniens qui remplissaient l’avion
était vaguement menaçante à première vue. Ils portaient tous des
vestes de cuir de couleur sombre et les cheveux coupés à ras, ce qui
n’indiquait aucune amitié particulière en direction des Turcs. Les
deux hommes assis à mes côtés recherchaient les possibilités de
transport de tapis, de portes et de fenêtres en cours d’achat en
Turquie, pour les livrer en Arménie, par une navette via la Géorgie
dont la frontière est ouverte.
A Istanbul, l’imaginatif universitaire Cengiz Aktar m’a dit pourquoi
il pensait que la Turquie se libérerait si elle faisait face à la
vérité sur ce qui est arrivé aux Arméniens disparus. Aktar est à
l’origine d’une pétition sur Internet demandant pardon pour la "Grande
Catastrophe" de 1915 (adoptant l’expression des Arméniens pour la
tragédie) et exprimant de la sympathie pour "mes frères et soeurs
arméniens." Plus de 30 000 Turcs l’ont signée – ce qui est remarquable
dans un pays dont les manuels scolaires disaient, jusqu’à tout
récemment, que les Arméniens ont tué des Turcs aux derniers jours de
l’Empire Ottoman et non l’inverse. Ce n’était pas une opération aisée,
mais le tabou interdisant de parler de la disparition des Arméniens
est à présent levé.
Pendant un court moment, il a semblé que les gouvernements d’Erevan et
d’Ankara défiaient le déterminisme historique obscur de la région. En
octobre dernier, les présidents Arménien et Turc Serge Sarkissian et
Abdullah Gul ont avancé dans la signature de deux protocoles sur la
normalisation des relations, s’engageant à ce qu’une fois les
documents ratifiés par les parlements de chaque pays, la frontière
fermée serait ouverte dans les deux mois qui suivent. Six mois après,
les sentiments d’insécurité et les politiques locales ont pris le
dessus, et les protocoles sont remis en cause. Les dirigeants turcs
retardent la ratification des accords. Dans une rencontre le 12 avril
entre Sarkissian et le puissant premier ministre turc Recep Erdogan, à
Washington, en marge du Sommet sur la Sécurité Nucléaire, constituait
une dernière chance de transiger sur un sauvetage, mais les premiers
présages qui en découlent ne sont pas bons.
Qu’est ce qui n’a pas marché ? Ankara a soufflé le froid sur ce
processus, disant qu’elle voulait voir des progrès dans le conflit
Arméno-Azerbaïdjanais sur le Karabagh-même si le conflit n’est pas
mentionné dans le protocole. Les Turcs clairement n’avaient pas prévu
la réaction furieuse de l’Azerbaïdjan, la partie vaincue lors du
conflit sur la province disputée au début des années 1990. Un septième
du territoire de jure de l’Azerbaïdjan est encore sous le contrôle
arménien, et en 1993, la Turquie a fermé sa frontière avec l’Arménie
en solidarité avec son allié du groupe des peuples turcophones.
L’Azerbaïdjan a fait pression fortement et efficacement contre les
protocoles, et ses menaces sont compréhensibles – elle craint que si
la frontière entre l’Arménie et la Turquie est ouverte, un levier
essentiel d’influence sur les Arméniens pour les forcer à des
concessions sur le Karabagh sera perdu.
Ce qui pourrait être vrai sur le court terme, mais à longue échéance,
l’ouverture de la frontière transformerait forcément le Sud Caucase et
aurait un effet possible sur le difficile conflit du Karabagh. Les
Turcs deviendraient un acteur neutre dans le Caucase et pourraient y
avoir pour la première fois un impact positif. Malheureusement, cette
vision à long terme n’est pas dans les habitudes de la région.
Une autre complication est l’approche de la date du 24 avril, la date
indiquée comme Jour du Génocide Arménien. Comme toujours,
l’anniversaire prochain rend nerveux, les Arméniens exerçant chaque
année leur pression auprès du président des Etats-Unis e du Congrès
pour nommer les massacres de 1915 "génocide", provocant la fureur de
la Turquie. Sarkissian a subi beaucoup de critiques de la part des
Arméniens de la diaspora sur son rapprochement avec la Turquie. Il est
à présent sous la pression pour retirer sa signature des protocoles et
faire face aux critiques en Arménie et dans la diaspora d’avoir laissé
les turcs le mener en bateau.
Une solution rapide doit être trouvée pour éviter un danger immédiat
de rupture du processus, et l’administration américaine n’a plus que
quelques jours pour la trouver. Mais il y a aussi un défi à long terme
-comment sortir le Sud Caucase dans son ensemble d’un cycle historique
de suspicion et d’impasse. Les acteurs locaux semblent être pris dans
un piège, effrayés à l’idée de rompre une dynamique négative tenant
les frontières et les esprits fermés. Une stratégie à long terme plus
large comme celle qui a réussi dans les Balkans au bout d’une
quinzaine d’années est ici nécessaire.
Ce qui suppose un engagement beaucoup plus grand pour dénouer le
problème le plus important dans la région entre la mer Noire et la mer
Caspienne, le conflit sur le Karabagh. Actuellement, les ressources
internationales investies dans la région pour la paix au Karabagh sont
beaucoup trop modestes pour faire la différence. Le conflit est en
sommeil, mais il n’y a pas de lieu de s’en satisfaire. L’Azerbaïdjan
riche de son pétrole dépense plus de deux milliards pour son budget
militaire, plus que la totalité du budget de l’Arménie. Encore
quelques années, et l’Azerbaïdjan pourrait être tentée de reconquérir
le Karabagh par la force, provoquant un conflit régional qui pourrait
enflammer la région entre la Russie, la Turquie et l’Iran.
Les Etats-Unis pourraient aussi investir dans une réflexion à long
terme sur la question Arméno-Turque, faisant de la réconciliation l’un
de ses buts stratégiques et non un feu clignotant une fois par an à
l’approche de la Journée du Génocide Arménien. Dans les années
récentes, la question qui consiste à se demander si le président des
USA usera du "mot G" – génocide – dans sa déclaration du 24 avril,
s’est déviée de ce qui devrait être la commémoration d’une tragédie
historique en un obscur marchandage politique. Une date clef, le
centenaire de l’holocauste arménien de 2015, se présente à l’horizon
et peut servir de repère aux Turcs, aux Arméniens- et au président
Barak Obama. Le gouvernement turc devrait réaliser qu’il ne lui reste
plus que cinq ans pour en arriver à une meilleure réponse à la
question arménienne avant que le monde entier ne commémore le 100ème
anniversaire de l’holocauste arménien. En repoussant la question
encore cinq ans, Obama devrait donner respectueusement mais gravement
à la Turquie une chance de se joindre au débat qui gagne dans sa
propre société. S’il dit le 24 avril, "dans cinq ans, je marquerai le
centenaire de la Grande Catastrophe de 1015. J’espère que je le
marquerai avec nos amis turcs et non sans eux, " il commencera à agir
pour la réconciliation plutôt qu’un simple acteur dans la perpétuelle
querelle Arméno-Turque.
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