Serge Sarkissian " Nous Voulons Passer A Travers Des Siecles D’Hosti

SERGE SARKISSIAN " NOUS VOULONS PASSER A TRAVERS DES SIECLES D’HOSTILITE "
Stephane

armenews
22 avril 2010
ARMENIE

Le rapprochement entre la Turquie et l’Armenie est toujours loin
des regards. Dans une interview avec l’hebdomaire Der SPIEGEL, le
President armenien Serge Sarkissian explique pourquoi la reconnaissance
du genocide contre son peuple est si importante – et pourquoi il est
un peu etonne par l’hostilite des politiciens turcs.

SPIEGEL : M. President, en 2008, vous avez suivi un match de football
entre vos deux pays ensemble avec votre homologue turc. Cela a ete
une sensation a l’epoque. regrettez-vous d’avoir invite le president
de la Turquie dans votre capitale ?

Sarkissian : Non je suis convaincu qu’il n’y avait aucune autre
alternative que celle pour les Turcs et les Armeniens de cooperer.

Nous avons voulu passer a travers des siècles d’hostilite. Il etait
clair pour moi des le commencement que ce ne serait pas un processus
facile.

SPIEGEL : le Premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan a dit a SPIEGEL
que sur le sujet des armeniens tues par les troupes Ottomanes pendant
la Première guerre mondiale : " Il ne peut y avoir aucune conversation
sur le genocide contre les armeniens ".Pourquoi votre voisin a-t-il
une telle difficulte avec sa propre histoire ?

Sarkissian : M. Erdogan a aussi dit que les Turcs ne sont pas capables
de commettre un genocide et que l’histoire Turque est " aussi propre
et claire que le soleil ".La Turquie resiste a la classification
du massacre comme un genocide. Mais peu importe comment peut-etre
la grande resistance turque, ce n’est pas une question qui doit se
decider a Ankara.

SPIEGEL : Maintenant Erdogan menace meme d’expulser des milliers
d’armeniens vivant illegalement en Turquie.

Sarkissian : Pour mon peuple, des commentaires si inacceptables
evoquent les memoires du genocide. Malheureusement, ces commentaires
ne m’etonnent pas, venant de la bouche d’un politicien turc. Nous
n’avons pas besoin de regarder derrière très loin dans l’histoire
pour trouver des declarations comparables. Des voix semblables sont
devenues fortes en 1988 dans ce qui est aujourd’hui l’Azerbaïdjan. Des
douzaines d’armeniens sont morts dans des pogroms dans des villes
azeries comme Sumgait et Bakou.

SPIEGEL : Comment la communaute internationale doit-elle agir sur
cette question ?

Sarkissian : le monde doit reagir de facon decisive. L’Amerique,
l’Europe-Allemagne, aussi – tous les pays qui ont ete impliques dans le
processus de rapprochement turco-armenien doivent prendre une position
officielle. Si chaque pays avait deja reconnu le genocide, la Turquie
ne ferait pas cette sorte de declaration. Ce qui donne la raison a de
l’espoir est que beaucoup de jeunes gens en Turquie protestent aussi
contre ces tirades. Il y a une nouvelle generation grandissant la-bas
et le pouvoir politique doit prendre leurs avis en consideration.

SPIEGEL : la Turquie vous accuse aussi de bloquer les progrès –
Ankara dit que vous avez empeche la formation d’une commission commune
historique. Pourquoi etes-vous contre cette idee ?

Sarkissian : Comment une telle commission pourrait-elle travailler
objectivement, quand en meme temps en Turquie, quelqu’un qui emploie
le terme "genocide" est persecute et puni ? Ankara essaye seulement
de retarder les decisions. Chaque fois qu’un Parlement ou gouvernement
etranger s’approche de la Turquie avec une demande pour reconnaître le
genocide, la reponse serait " Attendez les resultats de la commission
".La creation d’une telle commission aurait l’intention de mettre en
doute le fait du genocide contre notre peuple. Nous ne sommes pas pret
a faire cela. Une commission aurait du sens si la Turquie admettait
sa culpabilite. Alors les historiens pourraient travailler ensemble
pour decouvrir les causes qui ont mene a cette tragedie.

SPIEGEL : le genocide a eu lieu il y a 95 ans. Pourquoi sa
reconnaissance est donc importante pour l’Armenie aujourd’hui ?

Sarkissian : c’est une question de justice historique et pour notre
securite nationale. La meilleure facon d’empecher la repetition d’une
telle atrocite est de la condamner clairement.

SPIEGEL : Vous pouvez voir le Mont Ararat, le symbole national de
l’Armenie, des fenetres de votre residence. Aujourd’hui, la montagne
est inaccessible, de l’autre côte de la frontière turque. La Turquie
craint des demandes de territoire et des compensations. Voulez-vous
le retour du Mont Ararat ?

Sarkissian : Personne ne peut nous prendre le Mont Ararat ; nous
le tenons dans nos coeurs. Partout où les armeniens vivent dans
le monde aujourd’hui, vous trouverez une image de Mont Ararat dans
leurs maisons. Et je suis certain qu’un temps viendra quand le Mont
Ararat ne sera plus un symbole de la separation entre nos peuples,
mais un emblème de comprehension. Mais laissez-moi etre plus clair :
Jamais un representant de l’Armenie a fait une demande territoriale. La
Turquie allègue cela – peut-etre de sa propre mauvaise conscience ?

SPIEGEL : Vos frontières avec la Turquie et l’Azerbaïdjan sont fermees,
tandis que l’Iran et la Georgie sont des voisins difficiles.

Est-ce qu’il n’est pas important de s’enfuir de cet isolement que de
se battre infiniment avec la Turquie sur le genocide ?

Sarkissian : Nous ne lions pas l’ouverture de la frontière a la
reconnaissance du genocide. Ce n’est pas de notre faute si le
rapprochement echoue.

SPIEGEL : la Turquie veut faire dependre l’ouverture de la frontière
des progrès sur la question du Nagorno-Karabakh. L’Armenie s’est
battu dans une guerre dans cette region, qui a ete revendiquee par
l’Azerbaïdjan après l’ecroulement de l’Union sovietique, mais où la
majorite des habitants sont des armeniens Chretiens.

Sarkissian : la Turquie veut des concessions continues de notre part.

Mais ce n’est pas possible. La question la plus importante est le
droit de la population du Nagorno-Karabakh a l’autodetermination. À mon
avis, si l’Azerbaïdjan reconnaît l’independance du Nagorno-Karabakh,
la question pourrait etre resolue en quelques heures. Malheureusement,
l’Azerbaïdjan semble vouloir resoudre le problème par la force. Les
azeris croient toujours qu’ils peuvent annexer le Nagorno-Karabakh
comme une partie de l’Azerbaïdjan. Cela signifierait, cependant que
dans une periode très courte de temps il deviendra impossible pour
les armeniens de rester dans le Nagorno-Karabakh.

Pourquoi les etats dans l’ancienne Yougoslavie ont ete capables
d’obtenir l’independance ? Ne nions nous pas les memes droits au
Karabakh – simplement parce que l’Azerbaïdjan a des matières premières
comme le petrole et le gaz naturel a sa disposition, aussi bien que
la Turquie comme son patron ? Nous ne pensons pas que cela est juste.

SPIEGEL : L’Armenie serait-elle d’accord pour une vaste autonomie
pour le Nagorno-Karabakh dans l’Azerbaïdjan, la position qu’il avait
sous l’Union sovietique ?

Sarkissian : Bien sûr non. Rendre le Karabakh a l’Azerbaïdjan mènerait
a l’expulsion de la population armenienne dans une periode très
courte. Le Nagorno-Karabakh n’a jamais fait partie de l’Azerbaïdjan
independante. La region n’a pas ete associee a l’Azerbaïdjan jusqu’a
une decision de 1923 par le Bureau Caucasien du parti*Communiste, sous
la pression de Staline. Si le Karabakh devait devenir une partie de
l’Azerbaïdjan, on doit, du moins, reconstituer l’Union sovietique. Je
ne pense pas que chacun le veuille serieusement .

SPIEGEL : La Turquie a poursuivi l’adhesion a l’Union europeenne
pendant des decennies. Est-ce que l’adhesion est un but pour l’Armenie
aussi ?

Sarkissian : les valeurs de l’Europe sont attirantes pour
nous. C’est la raison pour laquelle nous reformons actuellement notre
administration, selon le modèle europeen, bien sûr. Nous savons très
bien que nous devons resoudre des problèmes si nous voulons devenir
un membre a part entière d’un système. Combien de temps ce processus
prendra depend de nous – mais aussi de l’UE.

SPIEGEL : Votre pays partage une frontière avec l’Iran. Comment
evaluez-vous le conflit de la communaute mondiale avec Teheran ?

Sarkissian : Nous l’observons avec inquietude. L’Iran est un des deux
seuls itineraires terrestres qui nous lie au monde exterieur. Chacun
en Armenie sait que si l’Iran n’avait pas tenu la frontière ouverte
pendant la guerre, il y aurait eu des manques d’approvisionnement
pour nos citoyens. La situation etait semblable pendant la Guerre de
Cinq jours ( guerre d’Ossetie du Sud) en 2008, quand les connexions
de chemein de fer par la Georgie ont ete perturbes. Nous construisons
un pipeline et une ligne de chemein de fer ensemble avec l’Iran.