L’ANNIHILATION DU PATRIMOINE ARMENIEN DE TURQUIE, PAR HAROUTIOUN KHATCHADOURIAN
par Stephane
armenews
jeudi29 avril 2010
REVUE DE PRESSE
Après l’appel de quelques intellectuels turcs, on commemorera cette
annee a Istanbul le souvenir des populations armeniennes aneanties
par le genocide de 1915.
Le 19 avril 2010 le quotidien turc Hurriyet a publie un article ecrit
par Mehmet Yasin : "… Dans ce village (Yeni Gurle) habite autrefois
par un millier d’Armeniens environ, je n’ai rien trouve qui rappelle
leur souvenir, sauf les ruines de l’eglise… Au moment des echanges
de populations, un groupe de Tziganes venus des Balkans s’est installe
ici. Ce sont probablement leurs descendants qui habitent les masures
construites dans la cour de l’eglise Surp Kevork, dont il ne reste
que deux murs. Cette eglise utilisee comme bidonville m’a rappele les
autres eglises que j’ai vues dans divers endroits de l’Anatolie. Elles
offrent toutes un spectacle qui illustre la capacite de destruction
de notre peuple et son intolerance a l’egard des lieux de culte des
autres religions…"
Si le premier evenement est positif en soi, il ne doit pas voiler
le deuxième, et particulièrement la responsabilite des gouvernements
turcs face a la disparition de l’heritage historique armenien. Depuis
un siècle, cet heritage est soumis a un processus de destruction qui se
poursuit encore en ce moment. Peu de temps avant 1915, le patrimoine
monumental comptait plusieurs milliers de monastères et d’eglises,
pour ne parler que de l’architecture religieuse. Et des centaines
d’entre eux etaient des monuments très anciens, d’une immense valeur
historique et artistique. Actuellement, les touristes qui voyagent
en Turquie sont frappes par l’etat d’abandon et de ruine dans lequel
sont maintenus les derniers vestiges de ce patrimoine.
Depuis les debuts de la republique turque, la degradation des monuments
armeniens qui avaient echappe aux destructions de la guerre se poursuit
pour des causes diverses. Les catastrophes naturelles (tremblements de
terre) et l’erosion sont, bien entendu, responsables de degradations,
et elles sont d’autant plus devastatrices que l’Etat n’a jamais pris
de mesures pour proteger ces monuments.
Mais les destructions intentionnelles sont certainement la principale
cause de destruction du patrimoine armenien en Turquie. Celles-la
prennent leur source dans la politique menee par les autorites
depuis près d’un siècle. Nous pouvons en citer au moins deux. La
première est l’ideologie profondement enracinees dans l’enseignement
officiel de l’histoire. Les dogmes de la "thèse historique turque"
des annees 1930 se rencontrent dans des textes officiels et dans des
publications academiques où l’histoire et la culture armeniennes sont
soit volontairement oubliees soit denaturees. La deuxième concerne la
loi de 1983 sur la protection des monuments historiques et l’ambiguïte
de l’Etat turc ou son incapacite a la faire appliquer. Exemples,
l’article 6, concernant "les monuments classes" (très peu de monuments
armeniens sont inventories), les articles 35 et 50, qui concernent
les autorisations de recherche et prevoit d’accorder aux particuliers
un permis de recherche de tresors, ce qui, dans les faits, revient
a legitimer les fouilles clandestines, c’est-a-dire la chasse aux
tresors.
Ces destructions intentionnelles sont aujourd’hui le resultat d’actes
de pillage commis par la population : demolition de monuments utilises
comme reservoirs de materiaux, recherche d’objets precieux et fouilles
illegales. Cette dernière forme de destruction, appelee en Turquie
"chasse au tresor", est actuellement en progression rapide, comme
l’atteste la multiplication des faits divers publies par la presse ou
sur Internet, et elle vise la totalite des monuments historiques. Le
fantasme du tresor cache est très repandu et, sous-developpement
economique aidant, une partie sans cesse croissante de la population
cherche de l’or dans les ruines dans l’espoir d’echapper a la misère.
Les chercheurs d’or detruisent tout sans discrimination, s’attaquent
aux forteresses, aux caravanserails, et meme parfois aux mausolees
des saints musulmans. Mais leurs lieux de predilection sont les
eglises et les monastères. Les eglises armeniennes, surtout dans
l’Est et le Sud-Est, sont particulièrement menacees. De plus, ces
provinces, où se trouve la majeure partie du patrimoine armenien,
etaient difficiles d’accès voire interdites aux etrangers pendant
très longtemps a causes des troubles dont elles sont le theâtre et
les chercheurs de tresors pouvaient agir a leur guise.
Le processus de deterioration se poursuit inexorablement, et si rien
n’est entrepris pour l’arreter on peut prevoir que dans un futur assez
proche la plus grande partie des vestiges aura complètement disparu.
Cette perte est d’autant plus irreparable qu’un grand nombre de ces
monuments, partis du patrimoine de l’humanite, sont souvent vieux de
plus d’un millenaire.
Jusqu’a ces dernières annees, les autorites sont restees passives
devant la destruction des monuments armeniens. Pendant près de cent
ans, aucun d’entre eux (a une ou deux exceptions près) n’a beneficie
de mesures de surveillance, de conservation ou de restauration. Elles
sont abandonnees au pillage.
Devant la flambee des destructions, depuis quelques annees, une partie
de l’opinion turque s’indigne et reclame du gouvernement des mesures
propres a assurer la protection du patrimoine historique, y compris
les monuments chretiens, et en particulier armeniens.
Il se cree, au sein de la minorite armenienne de Turquie meme, des
associations qui luttent pour la reconnaissance du droit de propriete
et la protection des edifices religieux de leur communaute. Le
gouvernement de ce pays qui fait des efforts pour se rapprocher de
l’Europe et faire rayonner sa culture ne devrait pas permettre qu’une
frange de sa population se livre a un vandalisme qui detruit les
traces du passe. A l’heure où Istanbul est elue capitale culturelle de
l’Europe, la Turquie se devrait de faire appliquer des mesures propres
a assurer la conservation des monuments, sans discrimination et l’Union
europeenne devrait exiger des autorites turques des actions concrètes
face a ce fleau en contradiction totale avec les valeurs de l’Europe.
La renovation recente de l’eglise Sainte-Croix d’Akhtamar, sur une île
du lac de Van, qui fut un "geste" politique, doit etre accompagnee de
mesures concrètes afin que l’ensemble du patrimoine armenien, oublie et
systematiquement detruit depuis un siècle, soit place de toute urgence
sous la protection de l’Etat, restaure et rendu a leur proprietaire.
La Turquie a la responsabilite morale et financière de faire du
sauvetage des derniers vestiges de ce patrimoine une priorite de sa
politique culturelle. Ce n’est qu’avec cette attitude associee a des
actions adequates sur le terrain qu’un dialogue reel pourra commencer
a s’etablir entre elle et la nation armenienne.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress