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L’oeil du Tigran

L’Est Républicain, France
Samedi 12 février 2011
TTE Edition

L’oeil du Tigran

par Xavier FRÈRE

Repéré dès sa prime adolescence (12 ans) pour son extraordinaire
précocité pianistique, adoubé très vite par les plus grands noms du
jazz (Chick Corea, Avishai Cohen, Ari Roland…), mis sur les rails
des festivals par ces mêmes protecteurs, il aurait pu se noyer sous
des torrents d’éloges, de prix (dont celui, fameux, du Thelonious Monk
Institute), et dissoudre rapidement tous les espoirs placés en lui,
Tigran Hamasyan.

Dur d’être un enfant prodigue. Dur ensuite d’être un adulte reconnu.
Mais à 23 ans, le jeune pianiste arménien, autodidacte, obtient
aujourd’hui son laissez-passer pour la postérité avec son troisième
album « A fable ».

Tigran Hamasyan ne se définit pas comme un « jazzman », lui qui a
puisé, depuis son enfance en Arménie, aux sources du rock voire du
heavy metal (de Black Sabbath à Led Zeppelin, ou plus récemment Tool),
du jazz (Satie, Chostakovitch dernièrement) et, bien sûr, du folklore
arménien. C’est d’ailleurs ce dernier qui aurait principalement
façonné son style (hybride), fait d’impétuosité et de dextérité hors
normes, beaucoup plus que le jazz contemporain.

Déjà un habitué des NJP
De ses racines musicales, le New Yorkais d’adoption dit intégrer dans
ses récentes compositions l’énergie et la pesanteur, un goût certain
aussi pour l’improvisation.

La France a été l’un des premiers pays à régulièrement le programmer
-et à succomber- au phénomène. Les Nancy Jazz Pulsations l’ont ainsi
invité à plusieurs reprises, et lors de sa dernière édition, Tigran
Hamasyan (avec Dhafer Youssef) a encore marqué les esprits.

Les esprits. Ceux qui hantent les fables arméniennes et nourrissent
l’album. Ou cette voix lointaine (sur le titre éponyme, ou sur le
somptueux « A memory that became a dream ») qui se pose en toute
délicatesse, entre les touches du piano solo.

Certains ayatollahs du jazz pourraient crier au blasphème devant tant
d’éclectisme, mais ce personnage charismatique et volcanique qui a
l’attitude (et la chevelure) d’un vrai rockeur tendance seventies, ou
des Strokes, trace sa propre voie, qu’on envisage royale.

Car « A fable », merveilleux tableau de mélancolie assumée et
bienfaisante, sonne non pas comme la naissance d’un talent mais plutôt
la reconnaissance d’un des plus grands artistes actuels.Tigran n’a pas
fini de rugir. Et nous, non plus. De plaisir.

From: A. Papazian

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