ART SACRE ET TEMOIGNAGE AVEC ” LES EGLISES ARMENIENNES DU LIBAN “, DE RAFFI GERGIAN
L’Orient-Le Jour
,_de_Raffi_Gergian.html
6 juin 2011
Liban
Vient de paraître ” Les Eglises armeniennes du Liban ” de Raffi
Gergian ( 205 pages- collection Espaces religieux du Liban – Universite
Saint-Joseph) est un livre remarquable et hors des sentiers battus. ll
est disponible a la bibliothèque de la faculte des sciences religieuses
(USJ), au musee national et dans toutes les librairies de la capitale.
Cet ouvrage, qui concilie en toute erudition art sacre, temoignage
et longue recherche (plus de dix ans), atteste non seulement de
la richesse d’un patrimoine, des explications de l’histoire et de
la resurrection de tout un peuple a travers son architecture, mais
aussi des multiples echanges culturels. Qui connaît vraiment toutes
les eglises armeniennes au Liban? Leur emplacement, leur beaute, leur
piete, leur architecture, leur demolition, leur reconstruction, leur
restauration, leur embellissement, leur histoire, leur specificite,
leur caracteristique? Lacune de taille a laquelle Raffi Gergian,
architecte, archeologue, photographe, fin connaisseur de tous les
recoins du Liban et imbu de culture armenienne, s’est longuement
penche. Il tire au clair, avec force details et precisions,
historiques et scientifiques, un etat des lieux que beaucoup ignorent
ou meconnaissent.
Cinquante-deux lieux de culte (chapelles, eglises et monastères)
sont repertories sur tout le territoire du Liban, de Tripoli a Anjar,
en passant par Tyr, Bzommar, Chtaura, Jounieh, Jbeil, Kreim, Beit
Khachbao, Bickfaya, Antelias, Zahle, Saïda, Rayack et bien entendu
Beyrouth (Bourj Hammoud, Zalka, Geitawi, Achrafieh, Karm el-Zeitoun,
Rmeil), avec plus de 40 releves de plan pour permettre de voir au
plus près des details les evolutions des projets, des executions et
des travaux de ces lieux de culte.
On emprunte volontiers, pour expliquer cet ouvrage riche et etaye de
documents inedits, les mots eclairants de la preface de Claude Mutafian
(docteur en histoire-Universite Paris I – Pantheon – Sorbonne):
“Pour diverses raisons historiques, il y eut dans l’histoire des
Armeniens de frequentes vagues d’emigration, mais ceux qui fondaient
des colonies, loin de la patrie, n’oubliaient ni leur culture ni
leurs traditions, en particulier architecturales, qu’ils faisaient
refleurir sur ces terres etrangères. En ce qui concerne le Liban,
il y eut trois periodes principales de relations.
Les premiers contacts massifs remontent a l’epoque des croisades,
aux XIIe et XIIIe siècles: l’Etat armenien se reconstruisait alors en
Cilicie, sur la route de Constantinople a Jerusalem, devenant bientôt
frontalier avec le Levant latin qui incluait le Liban actuel. Les
relations armeno-franques furent fluctuantes durant ces deux siècles,
mais les destins restaient lies, concretises par les innombrables liens
matrimoniaux a la suite desquels princesses et reines armeniennes se
retrouvèrent souvent a la tete du Liban.
La seconde phase des relations date du XVIIIe siècle, lors de la
penetration catholique dans le monde armenien de l’Empire ottoman,
violemment combattue par l’Eglise apostolique armenienne. Pour un
grand nombre de ces “convertis” qui choisirent la fuite, la presence
maronite au Liban offrait un asile sûr, et le processus culmina avec
la creation du patriarcat armenien-catholique.
La dernière phase fut la consequence d’une epouvantable tragedie,
le genocide des Armeniens ottomans en 1915. Une bonne partie des
rescapes fut sauvee grâce a l’hospitalite des pays arabes voisins,
en particulier la Syrie et le Liban, et le flux reprit quand la
puissance mandataire francaise brada a la Turquie la Cilicie en 1922
et le sandjak d’Alexandrette en 1939. Beyrouth supplanta bientôt Paris
comme phare de la culture armenienne occidentale et siège des partis
politiques, d’autant plus qu’en 1930, l’une des deux plus hautes
autorites de l’Eglise apostolique armenienne, le catholicossat de la
Grande Maison de Cilicie, s’installa a Antelias.
La presence armenienne au Liban fut certes affectee plus tard, d’abord
en 1946-1948 par des departs vers l’Armenie sovietique consecutifs a
la propagande stalinienne, puis a partir de 1975 par la guerre civile
libanaise; elle n’en reste pas moins importante.
Tous ces remous, ces changements et ces metamorphoses sociaux ont
laisse leur empreinte et c’est ce que fait ressortir l’ouvrage si
riche en explications et analyses de Raffi Gergian où carte generale,
panorama de l’architecture en Armenie, organisation de l’espace,
lexique, photos et chronologie de l’histoire armenienne sont autant de
precieuses clefs pour retrouver l’essence d’un art, non sans emprunter
quelques elements decoratifs a son nouveau environnement tout en
gardant a part entière l’authenticite de son identite. Clefs aussi
pour la tradition millenaire d’une architecture unique, inalienable
legs pour la perennite d’une patrie et d’une nation qui a adopte le
christianisme comme religion d’Etat en l’an 301.