DISCOURS COMPLET DE NAJAT VALLAUD-BELKACEM A L’INAUGURATION DU COLLOQUE
Sorbonne le 25 mars 2015
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le recteur de Paris, chancelier des universites,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et messieurs les professeurs,
Mesdames et Messieurs,
Cent ans. Il y a cent ans se preparait l’un des episodes les plus
effroyables de l’histoire de l’Europe et du monde. Le projet politique
du Comite >, visant l’extermination totale du
peuple armenien, allait etre mis a execution declenchant un crime de
masse, inouï par son ampleur et par sa nature.
Un genocide, le premier genocide contemporain, – si l’on excepte le
genocide du peuple herero en 1904, parfois qualifie de > – allait etre perpetre.
Aujourd’hui, cent ans après le genocide, quel plus beau symbole que
cette assemblee de chercheurs, d’historiens specialistes du monde
entier, mis collectivement au service de la comprehension, de la
connaissance et de la reconnaissance de ce qui s’est passe ?
Quelle plus belle reponse a la barbarie, que ces intelligences
rassemblees ici pour, sans relâche, aller plus loin dans la quete de la
verite scientifique et faire progresser la connaissance universelle ?
Quel plus beau symbole enfin, de la volonte de transmettre la memoire
aux generations futures, que ce lieu prestigieux et solennel, le Grand
amphitheâtre de la plus ancienne de nos universites ? Celui-la-meme qui
accueillait, le 9 avril 1916, le meeting en
Aujourd’hui, l’echo de ces voix-la resonne encore a nos oreilles.
Je souhaite remercier le .
Cette reconnaissance est essentielle car c’est aussi la reconnaissance
due aux 500 000 francais d’origine armenienne, descendants de
survivants ; a tous ceux d’entre eux qui, refugies en France, comme
Missak Manouchian, se sont battus pour la France et sont morts pour
elle en heros.
Cette reconnaissance est, de facon universelle, la reconnaissance
due aux individus persecutes, aux minorites opprimees et aux peuples
menaces dans leur existence.
C’est aussi ce qui conduit la France a affirmer que le negationnisme
est intolerable, car le droit est ce qui protège contre toutes les
formes de manipulation. Et c’est la position de la France auprès de
la Cour europeenne des droits de l’homme.
Les diasporas armeniennes vivant dans des pays libres ont
magnifiquement illustre a quel point la connaissance scientifique
est une arme essentielle pour la reconnaissance et contre le
negationnisme. A l’image d’Archag Tchobanian, arrive a Paris en 1895
pour prendre la defense de son peuple precipite dans les massacres
hamidiens, les intellectuels armeniens ont fait du livre et de l’ecrit
un combat pour la verite.
Dans le domaine de la recherche, nous devons beaucoup aux historiens
d’origine armenienne, que ce soient les grands historiens francais
Anahide Ter Minassian, Raymond Kervokian et tant d’autres, ou les
historiens americains comme par exemple Vahakn Dadrian et Richard
Hovannisian.
En Turquie, les Armeniens travaillent main dans la main avec des
intellectuels et historiens turcs, dont certains ont paye de leur
vie ce combat pour la verite : je pense en particulier a Hrant Dink,
assassine le 19 janvier 2007. Je veux aussi saluer la politiste
Bursa Ersanli et l’editeur Ragip Zarakolu, et les remercier d’etre
presents aujourd’hui.
Mais les chercheurs d’identite armenienne n’oeuvrent pas seuls. Et
ce centenaire de l’evenement installe les historiens armeniens au
coeur de l’histoire globale des sciences sociales des genocides ;
il est l’occasion, et ce colloque en est la manifestation, du passage
du genocide armenien a un statut d’objet historique global. En France,
le desenclavement de cet objet d’etudes, dont Yves Ternon, puis Pierre
Vidal-Naquet, ont ete les precurseurs, s’est poursuivi avec l’apport
des specialistes de la Première Guerre mondiale : les historiens
de la Grande Guerre l’incluent desormais pleinement l’etude et la
comprehension des phenomènes extremes de violence guerrière.
L’apport de la turcologie a lui aussi ete determinant, les specialistes
du monde turco-ottoman ayant su aborder l’evenement sans concession.
Enfin, en France, l’etude comparee sur les genocides a permis
d’eclairer l’evenement a la lumière de la recherche sur la Shoah,
mais aussi de la recherche, en plein essor, sur le genocide des Tutsi
au Rwanda.
Aujourd’hui, c’est forts de la somme de ces recherches que nous
pouvons nous souvenir collectivement, et rendre hommage aux victimes.
La recherche, le livre, la creation, sont aussi un apaisement a la
douleur des memoires. Ce sont autant de ponts jetes entre le passe
et l’avenir.
Oui, le travail des historiens est, enfin, ce qui permet a une nation
de regarder plus loin, vers l’avenir, et d’empecher les massacres de
se reproduire.
L’histoire, en tant que science du passe des nations, en nous apprenant
d’où nous venons, nous permet aussi d’eclairer notre avenir.
Parce que, grâce a elle, nous pouvons nous projeter collectivement,
elle nous aide a construire notre citoyennete.
Parce que la citoyennete republicaine est fondee sur le savoir,
la connaissance, le refus de la fatalite, l’ecole a un rôle central
a jouer pour cette transmission. C’est elle qui peut rendre reelle
la promesse de la Republique a ses enfants de les faire grandir dans
l’egalite et la tolerance. C’est elle qui peut semer les germes d’une
memoire partagee.
Je veux ici rendre hommage a tous les professeurs d’histoire-geographie
de France qui y contribuent au quotidien. Le genocide des Armeniens de
l’Empire ottoman, qui fait partie de notre memoire a tous, est etudie
par tous au cours de la scolarite obligatoire, en classe de 3ème.
A l’ecole, nous transmettons l’eveil de la citoyennete, la culture du
debat d’idees, la lutte contre les prejuges et contre toutes les formes
de persecution. Nous apprenons la difference entre la controverse,
le dialogue, qui est a la source meme de la connaissance, et la
manipulation ou la falsification.
A l’ecole, les elèves doivent apprendre a comprendre le monde, mais
aussi apprendre a vouloir le changer, pour prendre pleinement leur
place de citoyen. C’est le sens des reformes que nous adoptons, avec
la mise en place dès la rentree prochaine d’un enseignement moral
et civique tout au long de la scolarite obligatoire. Avec aussi la
reforme du collège, qui permet aux elèves d’etre davantage acteurs
de leurs apprentissages.
Mais cette transmission ne peut se faire seulement a l’ecole, sans
l’appui de la recherche.
Elle doit se poursuivre dans l’enseignement superieur et la recherche,
où les etudes sur les genocides doivent pouvoir encore mieux trouver
leur place, comme les > ont pu trouver la leur
outre-Atlantique notamment.
Par l’ampleur des questions qu’elles recouvrent, elles concernent de
très nombreuses disciplines scientifiques, dans les sciences humaines
et sociales et au-dela. Alors que nous entrons dans le deuxième
siècle de recherches sur le genocide armenien, je souhaite lancer une
mission d’etude dressant un etat des lieux de la recherche sur les
genocides pour permettre a celle-ci de se developper. Confronter les
points de vue, comprendre ce qui a conduit aux evenements tragiques
du passe, c’est ce qui nous permettra de prevenir la possibilite de
leur repetition demain. C’est ce qui nous permettra de continuer le
combat contre l’oubli.
C’est le sens je crois que le President de la Republique a souhaite
donner a ce colloque, qui se tient sous son haut-patronage.
En attendant le 24 avril, où je me rendrai a Erevan aux côtes du
President de la Republique pour une commemoration internationale
exceptionnelle, j’aime a voir dans la tenue de ce grand colloque
international a la Sorbonne une promesse d’inscription durable de
cette histoire dans le present et dans l’avenir : la definition
meme de l’histoire selon Thucydide, qui l’appelait