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La Negation Du Genocide Des Armeniens Brutalise Le Monde Entier

LA NEGATION DU GENOCIDE DES ARMENIENS BRUTALISE LE MONDE ENTIER

1915-2015

Publie le 17 avril 2015

The World Post

par Stefan Ihrig

Traduction Gilbert Beguian

Jerusalem – J’ai cette petite soeur armenienne imaginaire. En fait,
elle est votre petite soeur a vous aussi – tout comme nous en avons
tous une âgee de 8 ans dans cette Syrie qui craint pour sa vie, toutes
ces dernières annees. Après tout, nous sommes tous des etres humains.

Ma petite soeur imaginaire a quatre ans et demi ; elle n’arrete pas
de parler ; se perd souvent dans ses pensees ; pour des raisons qui
m’echappent, elle n’aime pas les pains au raisin ; et pour des raisons
que je comprends encore moins, elle est morte au debut de 1916.

Personne ne lui a mis un pistolet sur la tempe, ne l’a executee ; elle
n’avait tout simplement rien a manger, ne recevait aucun soin ou ne
pouvait nulle part etre a l’abri. Elle a juste ete balayee. Je ne peux
me defaire de l’idee de sa mort et de ses souffrances, meme si je le
veux, meme s’il le faut. Je dois me rappeler d’elle et je dois honorer
sa memoire, sa vie et sa mort. Et il y a aussi cet enfant syrien dont
il faut se soucier – a moins que volontairement, on l’ignore.

Le problème est que je n’arrive pas en faire le deuil parce que
ma petite soeur armenienne n’en finit pas de mourir encore et
encore. Nous – nous et notre soeur armenienne – en sommes restes
aux annees 1915-1916. Le negationnisme turc – et celui de ses amis
internationaux ne nous laisseront pas en paix, elle et nous (Il n’y
a qu’a visiter le site du Ministre des affaires etrangères turc sur
ce sujet). D’après le negationnisme turc, “Il n’est pas sûr qu’elle
soit morte. Bon, peut-etre est-elle morte mais c’est de sa faute
parce que les Armeniens etaient en rebellion contre l’etat “.

Il a dû y avoir une forme de guerre particulière parce que des enfants
de quatre ans et les vieillards allaient jusqu’a menacer l’existence
meme d’un empire qui avait ete puissant, au point qu’il est apparu
legitime de les tuer, en “legitime defense”. Et deja a partir de la,
on discerne la futilite du discours negationniste. Il ne s’agit pas
ici de l’excuse militaire a la mode de “dommage collateral”. Non,
ma soeur armenienne, ensemble avec les autres soeurs, frères,
grands-pères et grands-mères, ont ete rassembles et deportes afin
qu’ils puissent mourir. Je ne cesse de regarder les images connues
qu’Armin T. Wegner, ecrivain allemand et ancien medecin militaire de
l’Empire ottoman, nous a laissees – des images qui sont aujourd’hui
autant de symboles du Genocide des Armeniens. Et dans mes oreilles,
resonnent ces voix inquietantes qui me disent qu’il est parfaitement
justifie de tuer ma petite soeur armenienne…

En tant qu’historien travaillant sur les informations et les debats
qui eurent lieu a propos de Genocide des Armeniens pendant la Première
Guerre Mondiale et dans les annees 1920, je ne comprends toujours pas
que les debats, cent ans plus tard, aient si peu progresse – en fait,
ils ont regulièrement regresse. Une preuve flagrante s’est manifestee
cette semaine par deux avancees improbables : le Pape Francois et Kim
Kardashian. Que les reconnaissances du genocide par le pape et par
le voyage de Kim Kardashian en Armenie soient a ce point mediatisees
et soient qualifiees de grand “desastre de relations publiques pour
la Turquie” demontre que quelque chose etait terriblement faux tout
au long du siècle passe.

Au lieu de simplement interpreter comme une victoire le fait d’y avoir
consenti, il faut se demander pourquoi cela a pris autant de temps au
Vatican, pourquoi il a cede pendant aussi longtemps au negationnisme,
et pourquoi sur ce point, il a abandonne le monde et les Armeniens. Et
en outre, il faut insister sur le fait que Kim Kardashian s’etait
deja employee a faire connaître le Genocide des Armeniens – marquant
des points moraux bien avant le Vatican. Nous, ma soeur armenienne, le
monde et les negationnistes – avons joue ce jeu pervers qui consistait
a tolerer et a nier pendant aussi longtemps ; beaucoup trop longtemps.

“Le Genocide des Armeniens est un evenement de l’histoire non admis
dans l’histoire. Il affleure en permanence dans le present sans que
l’histoire lui menage une place en propre”.

Prenons par exemple, l’Allemagne du debut des annees 1920, où il y
eut, un temps, une large acceptation de l’allegation du “meurtre d’une
nation” commis par les dirigeants ottomans pendant la Première Guerre
Mondiale. Une partie des documents diplomatiques allemands concernant
le Genocide des Armeniens ont ete rendus publics dès 1919. Dans leur
forme developpee, ils ont ete rendus publics a nouveau et peuvent
facilement etre traduits en anglais ou lus en ligne. Ne serait-ce
qu’au vu de ces documents, issus de l’allie ottoman de la Première
guerre Mondiale, il est impossible de ne pas employer le mot “g”.

Mais revenons sur les annees 1920 et l’Allemagne : ces documents
diplomatiques ont ete largement discutes. Beaucoup d’experts ont ecrit
leur propre article pour des journaux, et après quelque resistance
d’anciens militaires et de commentateurs de droite, le constat
et l’accusation – “meurtre d’une nation” – se sont affirmes. Mais
par la suite, les anciens negationnistes (des Allemands) lancèrent
ne nouvelle contre-attaque, et le debat pris fin dans son ensemble
avec la publication d’essais justifiant le genocide (en soi). Puis,
plus tard, arrivèrent Hitler, une autre guerre mondiale et un crime
contre l’humanite encore plus grand.

Le Genocide des Armeniens est un element d’histoire auquel l’entree
l’histoire est interdite. Il fait constamment surface dans le
present sans que l’histoire ne l’intègre. Le negationnisme turc
empeche constamment – evenements de la Première Guerre Mondiale dans
l’empire ottoman, les victimes et les auteurs, leurs descendants, leurs
etats successeurs et leurs diasporas – de trouver quelque paix. Non
seulement les Armeniens et les Turcs aujourd’hui, mais aussi le
premier grand genocide du 20ème siècle – une part particulière de
notre histoire du monde – est encore tenu en otage dans une lutte
perverse pour etablir des verites les plus elementaires qui ont ete
deja ete etablies maintes fois.

Pour quelques universitaires, la negation est la dernière etape d’un
genocide. Mais dans le cas armenien, il est une partie integrante
de son deroulement. Depuis 1915, le monde a assiste a un combat
morbide sur la “verite”, qui en fait est un combat sur le droit de
commettre un genocide, le negationnisme turc ayant enormement depasse
son objectif. Il diffère des autres negationnismes de genocide en ce
qu’il objecte en justifiant tout ce qui a pu se passer. Pendant cent
ans – periodiquement, dans la presse de toutes les principales nations
autour du monde, lorsque quelqu’un d’important osait le mot “g”, on
donnait a des generations entières d’humains les raisons expliquant
en quoi le premier genocide important du 20ème siècle ne meritait pas
qu’on s’en rappelle, qu’il etait tout simplement necessaire qu’il soit
commis, et que les victimes etaient responsables de leur propre sort.

La culpabilite des auteurs de 1915-1916 est claire ; la culpabilite
de ceux qui perpetuent la justification du genocide devant l’humanite
est au-dela de tout entendement.

Après les horreurs contre les Armeniens de 1894-1896 sous Abdul
Hamid II (sultan de l’Empire Ottoman a ce moment-la), Martin Rade, un
militant allemand protestant pro-armenien, avait reflechi sur la facon
dont la presse allemande avait excuse et justifie la violence contre
les Armeniens. Certains avaient meme recouru au terme allemand employe
pour “genocide”, bien avant que Raphaël Lemkin ait cree son terme.

Rade etait inquiet des effets que le recours systematique aux
justifications de massacres de masse dans la sphère publique pourraient
avoir sur les Allemands ordinaires, exposes pendant des annees aux
articles de la presse allemande. Il ecrivait :

Il est impossible d’evaluer quel effet aura sur les generations
d’hommes a venir, la facon dont la societe et la presse traitent des
horreurs subies par les Armeniens. Ils apprennent a adorer une idole
d’opportunisme et de realisme politique, qui, investie du pouvoir,
se sentira libre de toute consideration noble.[1]

Presque 120 ans après les avertissements que Rade avait exprimes, il
nous faut marquer une pause et reflechir sur ce qu’une confrontation
avec le negationnisme du genocide et les justifications de genocide
ont fait a toutes les generations d’humains qui se sont succedees
entre-temps. Cela a ete un bruit de fond permanent tout au long
du sanglant 20ème siècle, chuchotant dans nos oreilles qu’on peut
s’affranchir d’un genocide, qu’il peut meme etre accepte de le
commettre.

Chaque fois que dans le monde, quelqu’un de quelque importance
emploie le mot “g”, le negationnisme turc y repond, et ma petite
soeur armenienne doit mourir a nouveau. Englues pendant un siècle
dans le cycle infernal du genocide, il est plus que temps pour nous
tous d’employer le mot “g” et de conjurer le sort une fois pour toutes.

[1] Martin Rade dans Christliche Welt (1896) tel que cite dans Axel
Meissner, “Martin Rades ‘Christiche Welt’ und Armenien” (Berlin 2010),
p. 80

mercredi 22 avril 2015, Jean Eckian (c)armenews.com

http://www.armenews.com/article.php3?id_article=110685
Babajanian Karo:
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