Agence France Presse 18 mai 2017 jeudi 4:45 AM GMT Argentine: Artyn, 100 ans, toujours fringant sur le court de tennis Buenos Aires 18 mai 2017 "Je ne suis pas un phénomène", se défend Artyn, tout en sortant sa raquette. C'est pourtant loin d'être vrai: à 100 ans, après avoir survécu au génocide arménien puis refait sa vie en Argentine, il joue au tennis trois fois par semaine. Sur un court de terre battue de Buenos Aires, le vieil homme affiche une santé de fer, assurant être arrivé à son grand âge "sans beaucoup d'efforts". "Je n'ai pas de secrets", dit Artyn Elmayan, à part peut-être celui de "se faire peu de mauvais sang, prendre les choses comme elles viennent et aider, car ça fait du bien à l'esprit". Il ne prend pas de médicaments, ne porte pas de lunettes et ne souffre que d'arthrose, qu'il combat "avec de l'indifférence et des étirements". "Le moteur va bien, les câbles électriques ont quelques ratés mais le principal, ça va", confie-t-il, se rappelant ses débuts dans le tennis à seulement 39 ans. Dans la catégorie Seniors, son palmarès est impressionnant: 27 coupes, dont la dernière il y a 10 ans, quand il a arrêté de faire des compétitions dans la catégorie des plus de 90 ans, faute d'adversaire. Son partenaire de jeu, c'est Luis, un "gamin de 79 ans". "Je ne joue pas de doubles parce que ça m'ennuie, je veux être toujours dans le jeu". - Eternel jeune homme - L'an dernier, il a exaucé son rêve de rencontrer Guillermo Vilas, la gloire du tennis argentin des années 1970. "Il est venu à mon anniversaire, c'est mon préféré, je le suivais à fond", raconte Artyn. Trois fois par semaine, il prend le train depuis San Isidro, où il vit, jusqu'au club River Plate, uniquement accompagné de sa raquette. "Oui, je viens seul, il y a seulement sept arrêts", dit-il en haussant distraitement les épaules. Quand on voit Artyn, on lui donne facilement 20 ans de moins. Et quand on l'écoute, on lui en enlève 10 de plus. Cet éternel jeune homme souriant dit lire "de la philosophie et des choses scientifiques, car c'est utile", parlant couramment les cinq langues qu'il a apprises au moment de son exil forcé d'Arménie, d'abord vers le Liban et la Syrie, avant d'atterrir à Buenos Aires à 21 ans. Son régime? Manger tout ce qu'il aime, mais "avec modération". Mais impossible de se contrôler quand il déguste un lehmeyun, sandwich typique de son Arménie natale. Il a fêté son siècle de vie en avril mais ne compte pas s'arrêter là: "Si je suis en forme normale à 100 ans, arriver à 111 c'est dans la poche". Son dernier coup dur a été le décès en 2016 de Luisa, son épouse pendant 74 ans et la mère de son unique fille, Elisa, avec qui il vit actuellement. - La vie, 'comme le tennis'- Mais dès son plus jeune âge, Artyn n'a pas été épargné par la vie: quand il avait à peine deux ans, les Turcs ont fusillé son père. Accueilli dans un orphelinat au Liban, il n'a retrouvé sa mère qu'à six ans. "Mon enfance a été horrible, vous le savez, nous sommes des survivants du génocide arménien", dit-il. Les Arméniens estiment qu'un million et demi des leurs ont été tués de manière systématique à la fin de l'Empire ottoman. Nombre d'historiens et plus de 20 pays, dont la France, l'Italie et la Russie, ont reconnu qu'il y avait eu un génocide. La Turquie affirme qu'il s'agissait d'une guerre civile, doublée d'une famine, dans laquelle 300.000 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort. Artyn a commencé une deuxième vie en Argentine, suivant sa soeur qui y avait lancé une usine de chaussures, puis créant son propre entreprise de confection d'uniformes scolaires. Il est retourné en Arménie - comme touriste - dans les années 1980 et a bien l'intention d'y aller encore. "J'aimerais m'y rendre peut-être cette année, en juillet ou septembre, car j'ai déjà 100 ans", confie-t-il, avant se s'interroger: "Est-ce que je suis heureux? Cela peut aller. Chacun a son destin. La vie, c'est comme le tennis: quand on entre sur le court, on ne sait pas si on va gagner".