Le Figaro Online vendredi 27 octobre 2017 09:00 AM GMT Turquie : Osman Kavala, condamné au silence par Delphine Minoui; [email protected] Turquie Arménie ENCART: Cet homme d'affaires turc a été arrêté le 18 octobre dernier pour des motifs inconnus et est interrogé par la police antiterroriste du président Erdogan. Mécène attentif aux multiples identités qui forment la Turquie, il oeuvrait pour faire connaître le génocide arménien dans son propre pays. Notre correspondante à Istanbul Sa grandeur d'esprit est à la hauteur du désarroi qui secoue la société civile depuis son arrestation. «Osman Kavala n'a jamais cessé de travailler en faveur de la réconciliation, du dialogue et pour le soutien de l'Etat de droit en Turquie», avance Emma Sinclair-Webb, de l'association Human Rights Watch. Mercredi 18 octobre au soir, le célèbre mécène turc aux boucles rousses et aux yeux bleus venait d'atterrir à l'aéroport Atatürk d'Istanbul quand la police est allée le cueillir dans l'avion pour l'escorter jusqu'au siège de la section antiterroriste. Placé en garde à vue, il ne sait toujours pas ce qui lui est reproché. «L'enquête reste secrète», précise son avocat. Une perquisition a également eu lieu au siège de sa fondation, Culture Anatolie (Anadolu Kültür), et son ordinateur a été confisqué. Encore sous le choc, son épouse ose croire à un «malentendu» et prêche la discrétion. «Je ne suis malheureusement pas surpris», tranche le député européen Frank Engel en référence à la vague de purges et d'arrestations qui ébranle le pays depuisle putsch raté du 15 juillet 2016. «Cette détention arbitraire illustre, dit-il, la dérive fascisante du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan qui cherche à intimider tous ceux qui ont une orientation différente de la sienne.» D'Osman Kavala, rencontré à Istanbul le 12 avril 2015 lors des commémorations du centenaire dugénocide arménien, il garde en mémoire «un homme extrêmement ouvert et généreux» qu'il écouta défendre avec sensibilité un fait historique que les autorités turques ont toujours nié. «En fait, aucune cause ne lui échappe», poursuit-il. L'homme d'affaires hyperactif avait ouvertement soutenu, en 2013, les manifestations de Gezicontre la destruction d'un parc en faveur d'un projet immobilier. Plus récemment, au printemps 2017, il avait appelé à boycotter le référendum surle renforcement des pouvoirs duPrésident. Passionné d'art, Osman Kavala est aussi le directeur de Depo, une ex-fabrique de tabac transformée en salle d'exposition. Cette semaine, un séminaire sur l'intégration des petits réfugiés syriens dans le système éducatif turc devait y avoir lieu. Quant à la question kurde, elle ne lui a jamais échappé. «Il revenait justement de Gaziantep, dans le sud-est du pays, dans le cadre d'un projet mené en partenariat avec l'Institut Goethe, quand il a été arrêté», précise le député. Un tournant inquiétant Né à Paris en 1957, Osman Kavala incarne une Turquie ouverte sur le monde et occidentale que l'AKP (le parti islamo-conversateur au pouvoir) entend aujourd'hui façonner à son image. C'est après des études à Manchester qu'il était revenu à Istanbul à la mort de son père, en 1982, pour piloter l'entreprise familiale. Fervent défenseur du patrimoine de son pays, et de sa diversité culturelle, il avait alors cofondé la maison d'édition Iletisim et n'a, depuis, jamais cessé de soutenir la reconstruction de monuments historiques, y compris des églises arméniennes. Une curiosité d'esprit et un sens de l'altruisme qui tranchent avec l'image que donnent de lui les médias progouvernementaux: qualifié de «Soros rouge» par le quotidien Günes, en allusion au philanthrope américain d'origine hongroise (dont le nom est associé aux fameuses «révolutions de velours»), il serait, prétend le journal pro-AKP Yeni Safak, «la figure clé du financement du terrorisme». Ces derniers jours, une pléthore d'articles l'accusent, pêle-mêle, d'avoir financé Gezi, flirté avecles pro-Gülen (en référence au commanditaire présumé du putsch raté) et donné de l'argent au PKK. «Ces accusations sans fondement entrent dans la triste logique complotiste de la construction d'un ennemi public. Elles sont, aussi, un message adressé aux autres ONG», estime Frank Engel. «Son arrestation marque un tournant inquiétant dans la répression du mouvement de défense des droits de l'homme en Turquie», se désole son ami Benjamin Abtan, président d'European Grassroots Antiracist Movement (Egam).