L' Orient-Le Jour, Liban Mardi 14 Novembre 2017 Les Arméniens du Liban : cent ans de présence Vient de paraître L'ouvrage historique publié aux Presses de l'Université Saint-Joseph a fait l'objet d'une présentation, vendredi dernier, au Salon du livre francophone de Beyrouth. Anne-Marie El-HAGE | OLJ Cent ans déjà que les Arméniens ont trouvé refuge au Liban, fuyant le génocide perpétré par l'Empire ottoman. Que sont-ils devenus au bout d'un siècle ? Quelle a été leur contribution au développement du Liban ? À ces questions parmi tant d'autres, qui mettent en exergue la nécessité pour les Arméniens du Liban de maintenir leur identité arménienne, tout en devenant libanais à part entière, l'ouvrage historique Les Arméniens du Liban, cent ans de présence apporte des réponses. Entrepris par une trentaine de chercheurs sous la direction de Christine Babikian Assaf, Carla Eddé, Lévon Nordiguian et Vahé Tachjian, ce livre, publié aux Presses de l'Université Saint-Joseph, a fait l'objet d'une présentation, vendredi dernier, au Salon du livre francophone de Beyrouth. Il fait suite à l'ouvrage Les Arméniens, 1917-1939 : la quête d'un refuge, publié en 2006 par le même éditeur. Devant une salle pleine à craquer, les historiens Vahé Tachjian, Boutros Labaki et Henry Laurens et l'archéologue Lévon Nordiguian ont tour à tour intervenu dans un débat modéré par Mme Babikian Assaf, historienne et doyenne de la faculté des lettres et des sciences humaines de l'USJ. L'influence arménienne au Liban Les Arméniens du Liban, cent ans de présence ne peut se lire d'un trait. Avec ses 500 pages et ses 350 photos, le livre est un concentré de vies, d'histoires, de thèmes et d'événements. Composé de quatre grandes parties, non seulement il raconte les Arméniens dans la cité et se penche sur des parcours collectifs et individuels, mais il montre la richesse de l'apport des Arméniens, leur influence sur le plan culturel notamment. À tel point qu'il décrit Beyrouth comme « capitale culturelle arménienne ». Des témoignages et récits de vie viennent étayer ce travail titanesque, parmi lesquels des membres de la communauté arménienne parfaitement intégrés à la société libanaise, mais aussi d'autres, peu ou pas intégrés. La photo occupe une place de choix dans cette recherche à plusieurs mains. Il faut dire que « les photographes arméniens ont joué un rôle prépondérant dans la capitale libanaise », explique Lévon Nordiguian. « Entre le XIXe et le début du XXe siècle, il n'existait pas une ville du Proche-Orient qui n'abritait pas un ou plusieurs photographes arméniens », révèle l'archéologue, précisant que Beyrouth était alors l'une des capitales provinciales de l'Empire ottoman les plus actives. À titre d'exemple, raconte-t-il, « les frères Sarafian se sont installés à Beyrouth à partir de 1887, d'abord rue de l'émir Bachir, puis à Bab Idriss. En 1920, avec l'arrivée massive des Arméniens fuyant le génocide, ce quartier était déjà le cœur de la photographie du pays ». Et d'ajouter que « dans les années soixante, un peu plus de 60 % des photographes opérant à Beyrouth étaient arméniens ». « Ils se sont imposés par leur talent et leur savoir-faire », observe-t-il, citant quelques photographes arméniens célèbres, comme Manoug, les frères Jean et Harry Naltchayan, Varoujan... qui étaient sollicités par les stars, les hommes politiques ou par des institutions de prestige comme la MEA. Avec son lot de saccages et de pillages de commerces, la guerre civile est venue balayer et détruire une grande partie des documents de l'époque, déplore M. Nordiguian. Une richesse pour l'histoire du Liban L'ouvrage « permet de comprendre la communauté arménienne du Liban », fait remarquer à son tour l'historien Vahé Tachjian. À savoir ses origines, les camps de réfugiés, la vie quotidienne, la construction progressive des quartiers... « Des sources écrites sont à la base de ce travail », souligne-t-il, précisant que « la plupart de ces sources sont rédigées en arménien et qu'il faut une bonne maîtrise de la langue pour les comprendre ». Accompagnés de 350 photos rassemblées de diverses sources, bibliothèques, associations, archives personnelles et universitaires, les textes permettent de plus, de manière générale, « d'enrichir la connaissance de l'histoire du Liban », assure M. Tachjian. Il illustre ses propos par des photos de groupes d'orphelins à leur arrivée au Liban en 1920, au port de Beyrouth, ou dans des orphelinats à Ghazir, Antélias, Jbeil, Saïda et au Chouf. Des photos qui montrent également d'anciennes demeures, palais, paysages ou lieux emblématiques libanais. « Ma famille a été témoin des massacres d'Adana en 1920 et mon oncle figure parmi les victimes », révèle de son côté l'historien Boutros Labaki, dont le grand-père originaire de Baabdate avait émigré en Cilicie. Sur l'arrivée au Liban de la famille de son père après la déportation, il observe qu'elle « parlait le turc et un peu l'arménien ». Et d'observer que dans les années cinquante, lors de la campagne électorale, les discours électoraux commençaient en arménien et se poursuivaient en turc. « La communauté arménienne était surtout turcophone à l'époque », explique-t-il. Et d'observer que le Liban est le pays où les Arméniens ont le mieux réussi à conserver leur identité. « Le système communautaire libanais repose sur l'indépendance des communautés, note-t-il. Les Arméniens ont su épouser ce système qui leur assurait une participation à la vie politique et leur permettait de préserver la langue arménienne au sein de leurs écoles. » L'historien français Henry Laurens salue enfin l'ouvrage qui, à partir d'une trentaine d'études, « permet d'identifier l'évolution d'un groupe de réfugiés sur des décennies ». « Un livre nécessaire, mais à la fois splendide par son iconographie, d'une richesse telle qu'on pourrait passer des heures rien qu'à regarder les photos », souligne-t-il. Il précise que « le travail, comme tout ce qui est libanais, relève à la fois du particulier et de l'universel ». Le professeur Laurens, qui avoue « ne pas connaître le sujet alors qu'il est historien », se penche sur le processus « d'arménisation » des réfugiés arméniens à leur arrivée au Liban. « La grande masse était turcophone. Il était impensable qu'elle continue à parler la langue de l'oppresseur, quitte à perdre sa langue », conclut-il, constatant que la transformation s'est opérée en deux ou trois générations. <span class="sewrr1asdljcku6"><br></span>