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Arayik Bakhtikyan, le joueur de « doudouk »

La Croix,  France-
2 févr. 2018

Le musicien arménien Araïk Bartikian est un maître du doudouk, reconnu au niveau international. / D. Tanguy/QPR

D’abord c’est un son velouté et doux qui vous saisit. Une note caressante, très proche de la voix humaine, autour de laquelle l’artiste module, jouant sur de courts intervalles, parfois des quarts de tons. Une musique venue d’Orient, qui vous transporte instantanément des siècles en arrière. Vous voilà dans une ville ancienne parmi les troubadours et les charmeurs de serpent. Soudain, le paysage change. La mélopée enfle et prend l’air des montagnes en compagnie de bergers. Une danse populaire s’improvise, transcrite par le père Komitas, au rythme d’un tambour frappé du bout des doigts. Puis c’est le recueillement, une hymne du Xe siècle composée par Grégoire de Narek, qui mêle la plainte et la louange…

« Quand je joue, je cherche à faire entendre l’âme de l’Arménie, dans toute sa richesse, confie Arayik Bakhtikyan. Bien sûr, il y a la douleur du génocide, mais j’aime faire revivre aussi la musique des premières églises, les danses folkloriques de chaque région, et même les dialectes avec leurs accents différents. »

C’est son grand-père, musicien professionnel, qui l’a initié à 14 ans au doudouk, ce hautbois arménien que l’Unesco a classé en 2005 au patrimoine immatériel de l’humanité. L’instrument a l’apparence d’une petite flûte à dix trous, en abricotier, dotée d’une anche double en roseau. Pour en tirer un son, le joueur doit gonfler puissamment ses joues. Puis moduler avec l’air et la pression des lèvres, le vibrato, la justesse et les nuances, depuis les forte nasillards jusqu’à des pianissimi vertigineux, où le son s’éteint comme un souffle.

« L’instrument n’a pratiquement pas changé depuis le Ve siècle. C’est à peine si on lui a peut-être rajouté un trou », explique Arayik Bakhtikyan. Et c’est ce caractère dépouillé, cette voix brute venue du fond des âges, qui touche au cœur.

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Enfant à Erevan, Arayik avait commencé par jouer du chevi, la petite flûte arménienne, puis du nay ou sering, la grande flûte oblique. « Dans ma famille tout le monde était musicien, mon père accompagnait au bourdon mon grand-père. On jouait aussi le dimanche à l’église », raconte-t-il.

Le grand joueur de doudouk Djivan Gasparyan, voisin du quartier, le prend adolescent sous son aile et le forme tous les week-ends. Puis, en 1982, à 20 ans, Arayik rejoint sa classe au conservatoire national Komitas d’Erevan dont il sort avec un grand prix. Il enseigne à son tour et donne alors de nombreux concerts de musique arménienne dans tous les pays du bloc soviétique. En 1991, au Festival de Kiev, Avet Terterian l’invite à interpréter sa 3e symphonie pour doudouk, zourma et orchestre.

« Dès la chute du Mur, la vie est cependant devenue plus difficile pour nous musiciens, il y avait moins d’opportunité de concerts », témoigne Arayik. Invité à jouer à Marseille et Lyon, il finira par s’installer en France en 2000, tout en voyageant régulièrement en Arménie ou en Allemagne pour des concerts et enregistrements. Dans l’un d’eux, il improvise au doudouk une mélopée poignante sur le récit de Franz Werfel Les 40 Jours du Musa Dagh, qui évoque la résistance de milliers de paysans arméniens en 1915. Il joue aussi pour des musiques de films, des créations contemporaines.

« La musique est vivante. Il faut marcher avec son temps », affirme-t-il. C’est d’ailleurs en se confrontant à des musiciens occidentaux et à la tradition classique qu’il dit avoir vraiment trouvé son identité singulière. Le doudouk, ardu et délaissé hier dans l’Arménie soviétique, attire aujourd’hui les jeunes de la diaspora, avides de renouer avec leur culture. Arayik Bakhtikyan l’enseigne à une dizaine d’élèves : « Pour moi, c’est l’instrument idéal pour exprimer la foi, la paix. Parfois, à la fin de mes concerts, j’aime improviser dans le silence, je parle avec mon Dieu. »

                 Sabine Gignoux

Emma Jilavian: