ZOOM L’archevêque Aram Atéshian à l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem en mai 2016. / Nir Alon/Zuma Press/MaxPPP
« Nous espérons et exigeons que soit mis fin à l’administration du siège patriarcal par un vicaire et que le siège vacant soit pourvu d’un titulaire digne et légitime, grâce à un vote public, conformément à nos traditions et à nos droits de citoyens. Nous lançons un appel à l’ensemble des Arméniens et aux institutions communautaires de Turquie afin qu’à tous les niveaux, utilisant tous les moyens disponibles, ils protestent et refusent cette situation. »
Le 21 février, l’hebdomadaire turco-arménien bilingue Agos a publié un appel signé par plus de soixante-dix universitaires, écrivains et artistes arméniens de Turquie pour exiger la tenue d’un scrutin « libre et transparent » afin d’élire un nouveau patriarche.
En effet, quelques jours auparavant, le 9 février précisément, l’État turc est intervenu brutalement dans les affaires de la communauté arménienne de Turquie : le ministre de l’intérieur turc s’est déplacé en personne jusqu’à Istanbul où avaient été convoqués un certain nombre de notables de la communauté.
À lire aussi
Les autorités turques récusent le responsable élu de l’Église arménienne
À l’issue de cette réunion, le conseil ecclésial du Patriarcat arménien de Constantinople a rétabli Mgr Aram Atéshian dans ses fonctions de vicaire général, alors que l’assemblée ecclésiale – sorte de synode de l’Église arménienne – avait élu un an auparavant et à une très large majorité Mgr Karékine Békdjian locum tenens (« celui qui tient lieu ») du Patriarcat arménien de Constantinople, le chargeant d’organiser de nouvelles élections pour remplacer l’actuel patriarche en titre, Mesrob II Mutafyan, gravement malade depuis plus de dix ans.
Dans leur pétition, les 70 intellectuels et artistes arméniens de Turquie interpellent solennellement l’ensemble des responsables de leur Église : les membres de l’Assemblée ecclésiale pour leur rappeler « leur responsabilité devant l’opinion publique » et les inviter « à respecter leur serment » ; les responsables des institutions communautaires « afin qu’ils mettent fin à leur passivité » et « prennent désormais l’initiative ».
« La paix ne sera rétablie dans notre communauté que lorsque l’élection patriarcale se sera faite dans la justice et le respect du droit. Le silence né de la résignation et de la soumission n’est pas synonyme de paix, mais d’oppression », accusent-ils sévèrement.
L’ingérence des autorités turques dans le processus électoral lancé par l’Église arménienne n’en finit pas de susciter des remous en interne.
Le bouillonnant député arménien Garo Paylan a accordé plusieurs entretiens dans les médias turcs comme arméniens, pour critiquer les autorités turques, mais aussi les responsables ecclésiaux – au premier chef Mgr Ateshian, à l’origine de cette affaire pour s’être rendu à Ankara se plaindre d’avoir été écarté par son Église. « En recevant le pouvoir du gouvernement, vous devenez une sorte d’otage », lui a lancé le député turc, très populaire auprès de la jeunesse arménienne, interrogé le 14 février par le site TRT. am d’Erevan.
Pour cette figure en vue de l’Église arménienne, qui n’hésite pas à qualifier l’actuel vicaire général de « mouton du gouvernement turc » ou de « marionnette aux mains, non seulement du gouvernement, mais également de la Défense, de la Sécurité et de la Justice », la communauté arménienne « a besoin de l’autonomisation du Patriarcat ». « Nous devons être mieux organisés, car cette situation pourrait bien diviser la communauté », a-t-il également affirmé.
De fait, la petite communauté arménienne de Turquie est clivée par cette affaire et les suites à lui donner. D’un côté, certains anciens gardent le souvenir des persécutions passées et « redoutent d’entrer dans un rapport de force avec le pouvoir », analyse Philippe Sukiasyan, diacre et historien. De l’autre, une part grandissante de chrétiens arméniens plus « émancipés », représentatifs de la « Génération Dink » du nom de ce journaliste et écrivain turc d’origine arménienne, ancien directeur de la publication du journal Agos assassiné par un nationaliste le 19 janvier 2007, souhaite au contraire revendiquer « sa pleine citoyenneté ». « Erdogan adopte la posture du sultan ottoman intervenant sans complexe dans les affaires des ’minorités’. Mais les jeunes arméniens ne veulent plus rester dans celle de ’sujets de l’empire ottoman’ », observe ce bon connaisseur de l’Église arménienne.
Les fidèles ont guetté la tenue le 20 février à Etchmiadzine (Arménie) de la session du Conseil Spirituel Suprême, organe supérieur du catholicossat, se demandant s’il ferait jouer le 7e canon du Concile de Jérusalem de 1651 en vertu duquel « si un évêque tente de devenir primat d’un diocèse, non pas par la volonté du Catholicos mais par un acte de corruption, ou par la contrainte exercée par des étrangers, il sera alors privé de son rang de religieux » ?
À lire aussi
Le patriarche arménien de Constantinople reconnu inapte à l’exercice de ses fonctions
Finalement, un communiqué « très neutre » a été publié, rapporte Philippe Sukiasyan, demandant à la fois au gouvernement turc d’autoriser des élections « libres et transparentes », mais reconnaissant aussi « des erreurs, incompréhensions et une certaine précipitation » au sein de l’Église arménienne, et invitant chacun à « la retenue ».