Corridor arménien entre la Mer Noire et le Golfe Persique

Mondialisation, Canada
2 mars 2018


 

  

Le président Serge Sargsian a déclaré lors de la conférence de Munich sur la sécurité le week-end dernier que son État enclavé, l’Arménie, s’efforçait de devenir la composante « terrestre »d’un ambitieux plan visant à relier la Mer Noire et le Golfe Persique par un corridor arménien de transit. C’est dans l’intérêt stratégique de son pays mais cela affecterait sans aucun doute la situation géopolitique dans cette région sensible. Pour commencer, cette initiative détournerait une partie du trafic du corridor de transport nord-sud multimodal entre la Russie et l’Inde en éliminant Bakou et Moscou de l’équation s’agissant de faciliter le commerce entre l’UE et l’Inde, en les remplaçant principalement par Erevan et Tbilissi. Cela ferait émerger sur les cartes un couloir secondaire à celui de la Mer Noire qui pourrait ensuite conduire jusqu’aux membres du bloc des Balkans.

L’Arménie vient de signer un accord de partenariat « élargi et renforcé » avec Bruxelles malgré son adhésion à l’Union économique eurasienne dirigée par la Russie, car l’État du Caucase du Sud affirme que ses deux obligations institutionnelles ne sont pas incompatibles. En tout état de cause, les conséquences du projet arménien de corridor entre la Mer Noire et le Golfe Persique seraient désavantageuses pour les intérêts stratégiques de la Russie, ce qui remet en question la volonté de l’allié militaire de Moscou de s’engager dans une telle politique même s’il n’a pas l’intention de siphonner la partie russe du commerce entre l’UE et l’Inde. La réponse peut être trouvée dans les factions rivales de « l’État profond » rivalisant pour le contrôle de l’Arménie, qui peuvent être divisées en intégrationnistes pro-eurasiens et obstructionnistes pro-occidentaux agissant comme des proxies des puissantes communautés de la diaspora à Moscou et en Californie.

À propos du groupe mentionné en deuxième position, ils sont si pro-américains que l’influent Comité national arménien d’Amérique (ANCA) a récemment imploré Washington de ne plus vendre d’équipement militaire à la Turquie de peur de fuites des technologies du F-35, classifiées, en faveur de la… Russie. Il n’est donc pas étonnant que certains les soupçonnent de soutenir les tentatives anti-russes de Révolution colorée dans leur pays en 2015et 2016. Mais ce qui est commun aux deux camps, c’est l’inconfort ressenti en faveur de l’approche pragmatique russe au Nagorno-Karabakh, qui met l’accent sur la primauté du droit international et est donc considéré comme un jeu à somme nulle au profit de leurs adversaires azéris. C’est en raison de ce désaccord avec ce changement de politique tacite de la Russie que l’Arménie a cherché à « couvrir ses paris » en se tournant vers l’Occident dernièrement, pour « contrebalancer » Moscou.

Les projets d’Erevan pour la construction du corridor Mer Noire-Golfe Persique doivent donc être considérés dans ce contexte, car on ne peut pas négliger le fait que la réussite de ce projet aurait également un impact indirect sur les intérêts de Moscou, que ce soit délibéré ou involontaire. Il faudra encore du temps pour que cette idée devienne une réalité, si jamais elle se concrétise, mais elle pourrait finir par être attrayante pour toutes les parties coopérantes, en particulier l’Iran et l’Inde si ces derniers décident de jouer les « durs » avec la Russie pour « équilibrer » les relations avec leurs némésis respectivement israéliennes et pakistanaises et ainsi prendre des mesures pour sortir la Russie du corridor de transport Nord-Sud avec l’Europe.

Andrew Korybko