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Valérie Toronian: «Le féminisme a toujours utilisé les outils de son temps»

La Depeche. France
4 mars 2018
 
 
Valérie Toronian: «Le féminisme a toujours utilisé les outils de son temps»
 
Société – Ancienne directrice du magazine «Elle», <strong>Valérie Toranian</strong> a raconté en 2016 le parcours de sa grand-mère rescapée du génocide arménien. Elle revient aujourd'hui avec «Une fille bien», ou comment une femme actuelle se débat avec un journal
 
«Une fille bien», c'est un peu ou beaucoup vous ?
 
Une fille bien, c'est un peu ce que moi ou toutes les femmes essaient d'être au quotidien dans nos vies, on se bat sur tous les fronts, le boulot, les enfants, les angoisses, la vie privée, et mon héroïne se retrouve dans sa vie au moment où elle a l'impression que tout lui échappe. Autour d'elle, tous les gens veulent lui donner des conseils, l'influencer dans telle ou telle direction, mais elle essaie de garder son cap, c'est ça une fille bien.
 
Est-ce plus difficile aujourd'hui pour une femme de définir son cap ?
 
Je ne dis pas que c'était plus facile avant, mais la vie des femmes aujourd'hui, en particulier les femmes actives qui ont des enfants, est difficile. On dit souvent qu'elles ont pris leur place dans la vie publique, le corollaire de tout cela, c'est qu'elles subissent beaucoup de pression de la société, de l'environnement professionnel, et des challenges qu'elles s'imposent. Mais si la vie des femmes n'est pas simple, elle est aussi pleine de joies et de ressources, et portée par un sentiment de liberté et d'accomplissement.
 
Les femmes sont-elles aujourd'hui soumises à plus d'injonctions ?
 
Oui, l'injonction d'être en permanence une fille bien, bonne épouse, bonne mère, bonne amante, heureusement qu'il y a l'humour et l'autodérision pour se dire qu'on n'est pas des surfemmes ! À nous l'indulgence et l'empathie. Car contrairement à une idée fréquente, il y a des liens, des amitiés très fortes entre les femmes, des relations qui accompagnent la vie et qui comptent beaucoup.
 
Dans le roman apparaît Sibel, qui rappelle «L'étrangère» de votre précédant récit.
 
Oui, mais ma grand-mère, «l'étrangère», était beaucoup plus réservée que cette Sibel délirante et drôle, une rescapée farouchement accrochée à la vie. Elle appréhende les épreuves de manière très différente des Occidentales comme moi, c'est pour elle une façon de cacher des douleurs, des secrets. C'est toujours ce qui m'intéresse, la manière dont on se sort d'un traumatisme.
 
Il n'est pas ici question du harcèlement tel qu'on en parle aujourd'hui ?
 
En fait, j'ai fini d'écrire le livre au printemps dernier, avant le déclenchement de l'affaire Weinstein et le phénomène de libération de la parole. La libération de la parole, c'est bien, qu'on dénonce des comportements intolérables, c'est bien et la société doit s'en emparer, particulièrement dans la sphère professionnelle. La société, la loi, c'est une chose, mais soi-même, personnellement, comment on se restructure ? Ni les lois ni aucun mouvement ne peuvent le régler pour chacun. Pouvoir nommer, ça aide, mais je ne pense pas que ce soit suffisant.
 
Ce que vous demandez, c'est une égalité dans la séduction ?
 
La libération de la femme n'est pas totalement achevée, il y a encore des domaines où les choses ne se passent pas bien entre les hommes et les femmes. Il y a ce que les hommes doivent faire et ne doivent pas faire, c'est important, et il y a aussi ce que les femmes s'autorisent ou pas. J'ai été frappée de voir qu'une majorité de filles de 18 à 30 ans trouve normal qu'un homme fasse le premier pas dans la drague, comme si elles se plaçaient dans une tradition de passivité qui présente des bénéfices secondaires… C'est paradoxal avec l'impératif de rendre la relation plus égalitaire. Dans la grammaire de la séduction, il faut que les femmes soient cohérentes avec ce qu'elles veulent. C'est ce qui se joue actuellement et ce n'est pas facile à gérer.
 
Sur le féminisme, les réseaux sociaux ont-ils définitivement pris le pas sur la presse ?
 
La révolution numérique est passée par là, les femmes utilisent ces réseaux sociaux comme l'_expression_ de leur génération, et ça correspond bien à ce qu'est devenue notre époque où les luttes collectives ne sont plus à l'ordre du jour. Nouvelle génération, nouveaux outils : le féminisme a toujours utilisé les outils de son temps.
 
Quel est l'enjeu de la journée des femmes 2018 ?
 
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Avec l'épisode de la libération de la parole, c'est une année un peu exceptionnelle, et il y aura sûrement des annonces du côté du gouvernement. Tant mieux. Mais j'aimerais qu'un jour cela devienne un non-sujet, que les choses s'améliorent suffisamment, notamment sur les inégalités salariales, pour qu'il n'y ait plus besoin de cette journée des femmes, où on les sort du tiroir pour les y remettre le lendemain.
 
 
Une fille bien
 
Mère sympa de deux garçons, la narratrice est perturbée par une amie qui lui rend, 30 ans après, son journal intime, avec de nombreux passages raturés, et d'autres qui ne lui évoquent rien. Mais qu'y a-t-il sous les ratures ? Cette amie lui veut-elle du bien ? Chronique chorale autour d'un journal féminin, cette «Fille bien» fait aussi resurgir un personnage proche de «L'étrangère», son puissant récit précédent (J'ai Lu). 263 pages, Flammarion, 19 €.
 
Propos recueillis par Pierre Mathieu
Hovsep Chakrian: