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L’Arménie, un pays stratégique pour Moscou

La Croix, France
29 avril 2018


                    

Soldat entrant dans la base militaire russe de Guioumri dans le sud-Caucase, en août 2015. / Karen Minasyan/AFP

Ce sont avant tout des intérêts stratégiques. L’Arménie héberge à Guioumri la seule base militaire russe dans le sud-Caucase. Guioumri reste le dernier point d’appuis sur le flanc sud de la Russie, dans une région particulièrement volatile. L’alliance militaire a des racines anciennes fondées dans la proximité religieuse entre l’orthodoxie russe et arménienne.

Aujourd’hui, Erevan fait partie d’une alliance militaire dirigée par la Russie et a récemment rejoint l’Union Économique Eurasienne, une réponse tout aussi embryonnaire à l’Union Européenne. L’intégration de ses deux structures reste extrêmement limitée à l’heure actuelle à cause du poids disproportionné de la Russie et de la méfiance des autres pays membres.

Du point de vue de la Russie, les liens économiques entre les deux pays servent avant tout à consolider la dépendance stratégique d’Erevan envers Moscou. Les livraisons de gaz russe à des prix largement inférieur au marché vont dans ce sens.

Mais la crise économique depuis 2014 en Russie conduit à une réduction des échanges avec l’Arménie. Les investissements russes accumulés restent modestes – 3,45 milliards de dollars (2,84 milliards d’euros) –, très loin derrière ceux réalisés au Kazakhstan, et en Biélorussie, qui dépassent chacun les dix milliards de dollars (8,24 milliards d’euros).

L’emprise russe sur l’Arménie correspond aussi à un besoin russe de limiter la sortie des hydrocarbures enclavées dans le bassin de la Caspienne. Ainsi, l’Arménie sert de territoire de « non-transit » des hydrocarbures de la Caspienne vers le marché européen. L’instabilité politique chronique du Caucase sert les intérêts de Moscou.

L’approche de la Russie envers l’Arménie repose principalement sur des instruments de force brute (« hard power »), c’est-à-dire l’exploitation de l’insécurité militaire arménienne face au conflit non-résolu du Haut-Karabakh avec l’Azerbaïdjan. Moscou estime qu’Erevan ne dispose d’aucune alternative à son alliance avec la Russie.

Entourée d’ennemis (Azerbaïdjan et Turquie) et de pays inamicaux (Géorgie et Iran), l’Arménie n’aurait personne d’autre sur qui s’appuyer. C’est ce qui a poussé Moscou à prendre des initiatives diplomatiques fort désagréables aux Arméniens, comme la vente d’armes à l’Azerbaïdjan pour 5 milliards de dollars (4,1 milliards d’euros) et de fortes pressions sur Erevan en 2013, pour que l’Arménie renonce à signer l’Accord d’association avec l’Union Européenne.

Enfin, ces derniers mois, un rapprochement très marqué avec la Turquie d’Erdogan. Ce que Moscou estime être de la « realpolitik » est perçu à Erevan comme une logique arrogante d’asymétrie des relations bilatérales.

Comment expliquer la retenue de Moscou face à la révolte contre le pouvoir pro-russe d’Erevan ?

Dans ce contexte, une réaction hostile de Moscou envers la société civile aurait pu conduire à une explosion du sentiment anti-russe. Il s’agit de ne pas répéter les erreurs commises en 2004 avec la Géorgie et avec l’Ukraine (2005 et 2014). De son côté, l’opposition arménienne, bien que pro-occidentale, ménage Moscou.

Son leader Nikol Pachinian a rappelé que la crise politique reste « confinée aux affaires domestiques arméniennes ». Il répète que les intérêts russes en Arménie ne sont pas menacés. Il n’a pas caché avoir rencontré mercredi 25 avril des « représentants officiels de Moscou, qui m’ont assuré de la non-interférence de la Russie dans les affaires intérieures de l’Arménie ».

« Un divorce avec la Russie conduirait à des risques si importants qu’en cas de succès, Nikol Pachinian, “le russo-sceptique” serait très probablement conduit à faire un virage à 180 degrés pour se rapprocher de la Russie », estime Serguei Markedonov, expert chez Carnegie à Moscou.

Emmanuel Grynszpan (intérim à Moscou)

Arpi Talalian: