Un ambassadeur aussitôt salué par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, sur Twitter: «La France perd Aznavour, un de ses plus grands poètes, toujours à l'avant-garde, une véritable légende qui a traversé les frontières et les époques. Les Français perdent Charles, un visage familier qui les a emmenés pendant plus de 70 années au pays de ses inoubliables chansons».
«J'ai fait une carrière inespérée mais exemplaire», avait confié le «Sinatra français» à l'AFP. «Tout est une question de chance». De chance mais aussi de talent et de volonté, puisqu'il a dû lutter à ses débuts pour imposer sa taille, son physique et sa voix atypiques, avant d'arriver en tête de l'affiche. «Côté critiques, j'ai été servi: on a dit que j'étais laid, petit, qu'il ne fallait pas laisser chanter les infirmes», racontait celui que la critique anglo-saxonne avait surnommé à ses débuts «Aznovoice» (jeu de mots signifiant: il n'a pas de voix).
Charles Aznavour (de son vrai nom Aznavourian) naît à Paris d'un couple d'immigrés venus d'Arménie qui attend un visa pour les États-Unis. Il gardera des liens très forts avec le pays de ses ancêtres. À ses débuts, il veut devenir comédien et fait de la figuration au théâtre et au cinéma. Aznavour se lance dans la chanson en duo avec Pierre Roche au début des années 40. En 1946, il rencontre Charles Trenet et Édith Piaf, qui le surnomment «le génie con» et le force à se refaire le nez.
Il écrit pour d'autres que lui («Plus bleu que le bleu de tes yeux» pour Piaf, «Je hais les dimanches», refusée par Piaf mais adoptée par Juliette Gréco), mais n'a aucun succès comme interprète. La donne change légèrement au milieu des années 50 avec le succès de «Sur ma vie» (1954). Au cinéma, il tourne avec François Truffaut pour «Tirez sur le pianiste» en 1960, l'année de sortie de «Je m'voyais déjà»,
En 1963, Aznavour triomphe au Carnegie Hall de New York et, devenu une vedette internationale, se lance dans une tournée mondiale. Il se rend alors pour la première fois en Arménie. Et en 1968, il épouse en troisièmes noces une Suédoise, Ulla Thorsell. Dans les années 70, Aznavour se frotte à des thèmes de société dans ses chansons: «Mourir d'aimer», tirée du film du même nom et inspirée par le suicide d'une enseignante en 1969 après une liaison avec un élève, ou «Comme ils disent», qui évoque l'homosexualité.
Les plus grands artistes reprennent ses chansons: Ray Charles chante «La Mamma» (écrite par Aznavour avec Robert Gall, le père de France Gall), Fred Astaire «Les plaisirs démodés» et Bing Crosby «Hier encore». Tout le monde se l'arrache, y compris le fisc qui le rattrape en 1977. Il est condamné en appel à un an de prison avec sursis et à une amende de 10 millions de francs de l'époque. «Si je n'avais pas eu autant d'ennuis avec l'administration et les médias, je serais resté en France», déclarait-il en 2013, affirmant avoir versé de l'argent à des politiques de tout bord pour tenter de régler ses problèmes, et rappelant avoir finalement bénéficié d'un non-lieu.
Il poursuit aussi sa carrière au cinéma, avec notamment «Le Tambour», de Volker Schlöndorff (1979), ou «Les fantômes du chapelier», de Claude Chabrol (1982). En 1988, il vient en aide à l'Arménie, meurtrie par un tremblement de terre, fonde le comité «Aznavour pour l'Arménie» et écrit le texte de la chanson humanitaire «Pour toi Arménie». En 1991, il partage la scène à Paris avec son amie Liza Minnelli et, en 1995, rachète les éditions musicales Raoul Breton.
Quand d'autres songent à la retraite, lui continue d'enchaîner disques, livres de souvenirs et concerts à travers le monde. «Je n'ai jamais, jamais prononcé le mot adieu!», s'emportait-il en 2011, avant d'entamer une série de 22 concerts à l'Olympia pour ses 87 ans.
Sur scène, il impressionnait par sa vitalité intacte et ne faisait que quelques concessions à l'âge: un prompteur pour pallier les trous de mémoire, un fauteuil pour les coups de fatigue, sur lequel il se reposait plus souvent ces dernières années, comme en septembre lors de ses dernières représentations au Japon, après s'être fracturé un bras cet été. Dans l'une des chansons, «J'abdiquerai», Aznavour évoquait la mort en s'amusant ironiquement de son statut de monument de la chanson: «S'il me reste encore un beau spectacle à faire/Un bel enterrement flatterait mon ego».
(L'essentiel/afp)