CRITIQUE – Après avoir adapté Rapport sur moi et La Liste de mes envies, il parle de lui dans un spectacle magnifique. Il évoque Moby Dick pour mieux nous dire d'où il vient, mis en scène par Anne Bouvier.
Comment dire et redire la beauté bouleversante de ce spectacle très personnel qui touche au plus profond chacun des spectateurs? Comment dire l'originalité du processus d'écriture conduit par Mikaël Chirinian avec son ami Océan, la singularité du récit qui tresse l'histoire de sa propre famille avec celle du Capitaine Achab et de la baleine blanche, Moby Dick? Comment donner une idée du charme unique de la scénographie imaginée par Natacha Markoff, la fluidité délicate de la mise en scène d'Anne Bouvier?
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On aurait envie de dire simplement: allez, découvrez, vous serez époustouflés par ce travail né dans l'amitié, le talent, la force d'une exigence artistique, l'urgence à dire sa vérité d'un homme très doué et très attachant. En effet, après ses adaptations de Rapport sur moi de Grégoire Bouillier et de La Liste de mes enviesde Grégoire Delacourt, qu'il a jouées longtemps avec succès, imposant sa longue silhouette athlétique, son crâne rasé, son regard profond et ferme qui éclaire un visage harmonieux encadré par une barbe taillée de près, Mikaël Chirinian ose affronter sa propre histoire, l'histoire de sa famille.
Sur le plateau, dans le décor merveilleux à dominante blanche qui fait naître fleurs, objets, comme dans un livre pour enfants, un livre pop-up, les lumières de Denis Koransky, la musique de Pierre-Antoine Durand, le comédien est seulement accompagné d'une marionnette qui est son semblable, son frère, une marionnette créée par Francesca Testi. Mikaël Chirinian a donc composé avec Océan (il est le metteur en scène de Chatons violents,qui se donne d'ailleurs dans le même théâtre le samedi à 17 h 30) cette traversée jusqu'au plus profond de son cœur. Il est parti de sa passion pour Moby Dick et il lui a fallu comprendre que cela avait à voir avec le plus intime de ses origines et de sa formation. L'Arménie par son père, l'Algérie et la culture juive par sa mère, sa sœur, de cinq ans son aînée, porte un prénom qui veut dire «Dieu» en hébreu… Mikaël grandit en Provence, aime ses parents, ses grands-parents. Aime aussi l'école, ses copains. Tout va bien? Non. Il y a une menace dans cet univers heureux.
Le comédien incarne tour à tour chacun des personnages et offre à la grand-mère maternelle une apparition savoureuse et très drôle. On rit beaucoup à ce moment-là et on en a besoin car l'histoire que l'on nous raconte est violente, très dure, et la blancheur ici est celle de la mort ou des camisoles de force…
Ce qui est ici magistralement réussi, et sans emphase, sans surlignage, c'est le lien inextricable entre la grande Histoire, les faits qui semblent loin mais pèsent de tout leur poids sur le destin des générations futures. Ces fils invisibles qui courent et instaurent des tensions dans la vie des pauvres humains qui ne comprennent pas tout…
Osons-le dire: L'Ombre de la baleine est un spectacle miraculeux, porté par un Mikaël Chirinian d'autant plus magnifique qu'il est d'une sobriété de jeu continue.
● «L'Ombre de la baleine», Théâtre Lepic 1, av. Junot (XVIIIe). Tél.: 01 42 54 15 12. Du mer. au sam. à 19 h 30, dim. à 18 h. Durée: 1 h. Places: 12 €.