Issy-les-Moulineaux, village arménien depuis 1920

Le Parisien-France
6 févr. 2019
Issy-les-Moulineaux, village arménien depuis 1920
Hauts-de-Seine
Marjorie Lenhardt –                06 février 2019

Dressée discrètement sur les hauteurs d’Issy-les-Moulineaux, l’école primaire arménienne Hamaskaïne-Tarkmantchatz accueille aujourd’hui 105 élèves. Ce sont pour la plupart les arrières arrières petits enfants d’Arméniens venus se réfugier en France après le génocide perpétré à partir d’avril 1915.

Ici, la communauté est présente depuis cinq générations, et compte entre 6 000 et 6 500 personnes. Ce qui en fait l’une des communautés arméniennes les plus importantes d’Ile-de-France, avec Alfortville (Val-de-Marne). Alors l’annonce, mardi soir par Emmanuel Macron, de la création d’une journée nationale de commémoration du génocide arménien, le 24 avril, réjouit ce véritable village dans la ville.

« Ici la communauté Arménienne est très active et soudée, commente le père Avedis Balekiann, à la tête de l’Eglise apostolique depuis dix ans. Elle salue la décision d’Emmanuel Macron qui a touché le cœur de tous les compatriotes ».

Issy-les-Moulineaux, mercredi 6 février 2019. Le père Avedis Balekian est l’archiprêtre de l’église apostolique arménienne qui compte pas moins de 25 000 fidèles. LP/Marjorie Lenhardt

Pour le président de l’école bilingue des Hauts d’Issy, c’est aussi une décision très positive : « Cela nous valorise en tant que Français, et c’est un message fort aux négationnistes de tous bords », réagit Stéphane Aslanian, 56 ans. Son grand-père est arrivé à Issy-les-Moulineaux en 1923, avec un groupe de 10 000 Arméniens dirigés directement par les autorités françaises. A cette époque là, il n’était pas question de devoir de mémoire, mais d’intégration avant tout.

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D’après la sociologue isséenne Martine Hovanessian, « c’est entre 1920 et 1936 que les besoins en main-d’œuvre des industries lourdes ont canalisé l’afflux des réfugiés arméniens vers Issy-les-Moulineaux »*. Ils travaillaient à la cartoucherie Gévelot, chez Renault, Citroën, aux peintures Lefranc et dans la société Chausson.

Comme de nombreux Arméniens arrivés dans ces années-là, le grand-père de Stéphane s’est installé rue de la Défense, à deux rues de l’école. Mais la plupart vivaient d’abord sur l’île Saint-Germain dans des maisons souvent insalubres.

Dans les années 1930, avec la crise, ces ouvriers se sont pour beaucoup reconvertis dans le commerce de textile et de cordonnerie, ce qui a contribué à leur enrichissement.

A partir de là, ils ont commencé à construire de petits pavillons sur les hauteurs de la ville et près de la gare de Clamart. En 1973, ils font construire une Eglise apostolique qui compte aujourd’hui 25 000 fidèles, puis une Eglise évangélique en 1978, dans la même rue.

« C’est un véritable quartier arménien qui s’est formé et qui reconstitue un village avec son église, son école et des associations, souligne André Santini, maire (UDI), particulièrement fier de la bonne intégration de cette communauté dans la ville.

Aujourd’hui, il existe 12 structures, dont la maison de la culture arménienne et l’association de la Croix Bleue de France. Des points d’animation qui draînent « pas moins de 30 000 Altoséquanais d’origine arménienne », estime l’adjoint en charge de la communauté arménienne, Arthur Khandjian. « Pour moi, c’est même la communauté la plus importante de France pour son activisme, ses instances religieuses et son école », insiste-t-il.

L’école et l’Eglise constituent en effet les deux piliers de la communauté, autour desquelles gravitent les associations et les habitants. Lorsque l’école a été fondée en 1996, notamment par le père de l’actuel président, elle répondait au besoin d’une communauté grandissante avec les nouvelles vagues d’immigrations dans les années 1980. « Moi je suis arrivé en 1982 de Turquie, et mes trois enfants ont été scolarisés dans cette école », raconte Yervant, 55 ans, de la petite épicerie arménienne située à Clamart, tout près de l’école.

Clamart, mercredi 6 février. L’épicerie arménienne de Yervant Sabundjian est implantée depuis 1986 et propose de nombreux produits traditionnels. LP/Marjorie Lenhardt

« Il y avait un réflexe communautaire au départ. Mais aujourd’hui, on a une nouvelle génération de jeunes parents qui font le choix de se rapprocher d’Issy pour inscrire exprès leurs enfants à l’école dans un souci d’excellence car les classes sont petites et il y a très peu d’absentéisme de professeurs. Mais aussi pour le lien avec la langue », expose Stéphane Aslanian.

A la rentrée dernière, les inscriptions ont bondi de 30 % par rapport à la précédente.

*« Soixante ans de présence arménienne en région parisienne, le cas d’Issy-les-Moulineaux ». Article paru en 1988 dans la Revue européenne des migrations internationales.