OPINION. La guerre du Karabagh est à la fois un conflit territorial et un conflit «ethnique». C’est une guerre pour l’existence d’un peuple qui lutte pour ne pas être chassé, broyé, détruit par deux Etats voisins. Plusieurs personnalités suisses inquiètes lancent une pétition
Depuis l’époque soviétique, les Arméniens du Karabagh ont toujours manifesté légalement et pacifiquement leur volonté collective d’indépendance. Face à la décision autoritaire en 1921 de rattacher ce territoire à la République d’Azerbaïdjan, alors même qu’il faisait partie intégrante de la République d’Arménie entre 1918 et 1920, reconnue internationalement, les Arméniens de la région ont lutté et dès que le régime soviétique s’est un peu ouvert à la fin des années 1980, le mouvement a pris de l’ampleur. En réaction à ce mouvement, Bakou a organisé des pogroms contre les Arméniens d’Azerbaïdjan en 1989-1990, puis lancé les hostilités et entraîné la première guerre, qui a duré de 1990 à 1994.
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Le matin du 27 septembre, alors qu'il dépense des milliards de dollars chaque année pour les armements les plus sophistiqués et les plus dévastateurs, l’Azerbaïdjan a ouvert les hostilités par une attaque puissante et coordonnée sur l’ensemble de la ligne de front. L’agression a été menée avec le soutien actif logistique, tactique et opérationnel de l’armée turque. L’objectif de cette agression était énoncé très clairement par le pouvoir de Bakou et d’Ankara: reconquérir le Karabagh par la force et en chasser les Arméniens.
Du 27 septembre au 9 novembre, les forces armées arméniennes ont résisté à l’assaut azéro-turc, tout en cédant du terrain surtout dans le sud et devant finalement se rendre à l’évidence de la supériorité de l’adversaire. Du 27 septembre au 9 novembre, les forces azéro-turques ont engagé des mercenaires djihadistes syriens, bombardé systématiquement les villes et les zones civiles avec des bombes à fragmentation et à sous-munitions, incendié les forêts avec des bombes à phosphore, décapité des prisonniers de guerre arméniens. Il n’y a aucun doute sur le projet de Bakou: détruire le Karabagh pour dissuader les Arméniens d’y retourner et écraser toute résistance. Le président azéri Aliyev avait déclaré à plusieurs reprises qu’il était prêt à un cessez-le-feu à condition que les Arméniens cessent le combat et se laissent donc envahir. Trois accords de cessez-le-feu ont été signés, tous les trois ont été violés par la partie azérie immédiatement après leur entrée en vigueur. La dernière déclaration, imposée par Poutine le 9 novembre 2020, a mis en place un cessez-le-feu à des conditions défavorables pour l’Arménie et en passant sous silence les questions relatives au statut futur du Haut-Karabagh.
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On a pu voir entre 1998 et 2005 l’attitude d’Aliyev à l’égard des Arméniens lorsqu’il a ordonné la destruction du grand cimetière arménien médiéval de Djoulfa, dont il ne reste aujourd’hui plus rien. Le bombardement de la cathédrale de Chouchi porte la marque de cette démarche visant l’annihilation de l’héritage culturel et spirituel de l’autre. La politique génocidaire consiste non seulement à éliminer les vivants, mais aussi à faire en sorte que les morts n’aient pas vécu.
Que conclure de cette situation? Qu’est-ce que cela nous donne à penser et à faire en tant que citoyens suisses? Deux choses principalement: la première est d’exprimer notre solidarité avec la population arménienne réfugiée, bombardée et menacée de nettoyage ethnique voire de génocide. En tant que Suisses, nous sommes sensibles aux droits et à la sécurité des peuples minoritaires et nous pensons que tous les peuples minoritaires ont droit à la sécurité. La seconde chose est d’appeler le Conseil fédéral et les Chambres fédérales à reconnaître officiellement le droit à l’autodétermination des Arméniens du Karabagh. Nous avons vu la campagne criminelle menée par Bakou et Ankara, et il est parfaitement clair que les Arméniens ne pourront pas être en sécurité sous la souveraineté de Bakou. Dans ces cas-là, il existe un concept qui a été appliqué au moins deux fois depuis la fin de la guerre froide, pour le Kosovo et pour Timor-Est: la sécession remède. Une population menacée de génocide ou de nettoyage ethnique par l’Etat dont elle dépend peut légitimement revendiquer en ultime recours son droit à l’autodétermination au nom de sa survie et de sa sécurité. Si un peuple a jamais été dans une telle situation, ce sont aujourd’hui les Arméniens du Karabagh.
Nous voyons au moins trois raisons pour la Suisse de reconnaître le droit à l’autodétermination des Arméniens du Karabagh: en raison de sa très longue expérience historique dans l’équilibre des minorités; au nom de sa haute idée de la souveraineté, tout enclavée qu’elle est au milieu de l’Europe; enfin, rappelons que la Suisse a été parmi les premiers Etats à reconnaître l’indépendance du Kosovo au nom de ces valeurs-là.
Ce serait la moindre des choses pour les Arméniens qui ont combattu seuls contre des milliers de terroristes, de mercenaires, contre l’impérialisme turc durant un mois et demi. Seule une reconnaissance internationale de leur droit à l’autodétermination peut préserver leur sécurité à l’avenir. Nous leur devons bien cela.
Pour soutenir le droit à l’autodétermination du Haut-Karabagh, nous vous invitons à signer la pétition sur https://www.change.org/RecognizeNagornoKarabakh
*Premiers signataires, liste arrêtée au 17 novembre, 15h00
- Isabelle Moret, conseillère nationale
- Marianne Streiff-Feller, conseillère nationale
- Lisa Mazzone, conseillère aux Etats
- Carlo Sommaruga, conseiller aux Etats
- Stefan Müller-Altermatt, conseiller national
- Stéfanie Prezioso, conseillère nationale
- Fabienne Bugnon, ancienne conseillère nationale
- Dominique de Buman, ancien conseiller national
- Ueli Leuenberger, ancien conseiller national
- Anne Mahrer, ancienne conseillère nationale
- Jean Rossiaud, député au Grand Conseil
- Sylvain Thévoz, député au Grand Conseil
- Arnaud Moreillon, conseiller municipal
- Charles Beer, ancien conseiller d’Etat
- David Hiler, ancien conseiller d’Etat
- Valentina Calzolari Bouvier, professeure d’études arméniennes, Unige
- Erica Deuber Ziegler, historienne de l’art
- Saskia Ditisheim, avocate, présidente de l’ONG Avocats sans frontières ASF
- Philipp Egger, historien, Swiss South Caucasus Foundation
- Frederic Esposito, politologue GSI-Unige
- André Gazut, réalisateur
- Leo Kaneman, fondateur/président d’honneur du FIFDH Genève et du HRFF Zurich
- Massia Kaneman-Pougatch, Association Carte blanche pour les droits humains
- Philippe Macasdar, comédien
- Jean Perret, historien du cinéma, critique
- Alfred de Zayas, expert en droits humains et droit international
- Jean Ziegler, vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU
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