La Strategie Des Etats-Unis Au Sud Du Caucase

LA STRATEGIE DES ETATS-UNIS AU SUD DU CAUCASE

Le Figaro
Vendredi 29 Août 2008
France

Pour ce chercheur a l’Institut francais de geopolitique, (Paris-VIII),
une reflexion sur la crise en Georgie ne peut pas faire l’impasse sur
la politique americaine (et ses investissements financiers) dans cette
region du monde. Alors que la crise fait rage entre la Georgie et la
Russie et que les politiques de la Russie sont largement decryptees et
souvent pointees du doigt, il est necessaire, pour une comprehension
globale, de se pencher plus longuement sur la strategie americaine
au sud du Caucase.

Cette strategie depasse en general les trois petites republiques
d’Armenie, d’Azerbaïdjan et de Georgie, independantes de l’URSS fin
1991. Elle s’intègre a des logiques pour l’influence en Eurasie,
immense region du monde hautement strategique et concept geopolitique
largement usite outre-Atlantique. Pour les stratèges americains,
la plupart des tendances confondues, la securite du monde depend
largement de la stabilite, et donc du contrôle, de l’Eurasie, qui
abrite, en outre, environ 75 % des reserves energetiques mondiales.

La region au sud du Caucase est situee aux marges de plusieurs grands
ensembles qui s’y disputent l’influence. Traditionnel pre carre de
la Russie, c’est aussi une zone d’influence naturelle pour l’Iran
et la Turquie qui y ont joue un rôle historique majeur. Depuis la
chute de l’URSS, deux nouveaux acteurs s’ajoutent a cette liste :
l’Union europeenne et, en particulier, les Etats-Unis.

La politique americaine s’y est mise en place peu a peu, surtout
dans la seconde moitie des annees 1990. Ce sont les ressources
energetiques de la mer Caspienne, depuis revues a la baisse, qui ont
attire l’attention des leaders americains. Un rapprochement net s’est
alors opere entre Washington et l’Azerbaïdjan, qui contrôle une partie
de la production et de l’acheminement de ces ressources. L’oleoduc
BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), double ensuite du gazoduc BTE
(Bakou-Tbilissi-Erzurum), est le symbole de ce rapprochement. Ce
projet de grande envergure a permis la consolidation d’un axe de
cooperation Ouest-Est (incluant notamment les Etats-Unis, la Turquie,
la Georgie et l’Azerbaïdjan), tandis que la Russie, qui contrôlait
jusque-la l’acheminement des energies caspiennes et d’Asie centrale
vers l’ouest, l’Iran, mais aussi l’Armenie, en sont exclus.

Dans le meme temps, et non sans quelques difficultes, les Etats-Unis
s’impliquent dans la resolution du conflit du Haut-Karabakh, entre
l’Azerbaïdjan et l’Armenie, dont ils sont en charge avec la Russie
et la France, via le groupe de Minsk de l’OSCE. Alors que l’executif
americain exprimait avec retenue une certaine sympathie pour le
partenaire azeri, le Congrès, presse en ce sens par la communaute
armeno-americaine, votait l’allocation d’aides financières annuelles
importantes a l’Armenie, et un gel de ces memes aides a l’Azerbaïdjan
(gel effectif jusqu’en 2002). Cette aide financière americaine directe
est l’une des plus elevees du monde par habitant, et se monte a plus
d’un milliard de dollars depuis l’independance de l’Armenie. De meme,
la Georgie est aussi devenue un des recipiendaires de cette aide
financière, et est elle aussi un des rares pays d’Eurasie a avoir recu
plus d’un milliard de dollars des Etats-Unis depuis 1992. Depuis peu,
l’Armenie et la Georgie sont membres du programme americain Millennium,
dont le but est de fournir une assistance a un nombre restreint de
pays a bas revenu qui, selon des critères etablis par le gouvernement
americain, mettent en oeuvre des politiques de developpement viables,
investissent dans leur peuple, et encourage la liberte economique.

Un autre outil de politique etrangère remarque est la cooperation
militaire que les Etats-Unis ont mise en place avec les trois pays de
la region, soit de manière bilaterale, soit via l’Otan. Les trois pays
sont membres du Partenariat pour la paix de l’Organisation atlantique
(PpP) et ont chacun signe en 2005 un plan d’action individuel pour
le partenariat (Ipap) avec elle. L’Ipap est souvent considere comme
le degre le plus pousse de cooperation avant l’integration. Sur les
trois republiques, seule l’Armenie, proche de la Russie qui est son
alliee sur le plan militaire, a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas
integrer pleinement l’Otan. La Georgie et, de manière plus discrète,
l’Azerbaïdjan ont clairement affiche leur souhait d’integrer
l’organisation.

Ces divers rapprochements entre les Etats-Unis et les republiques
au sud du Caucase sont percus par la Russie comme autant de reculs
de sa propre influence regionale. D’autant que le soutien, au moins
indirect, de Washington aux " revolutions de velours " qui ont mis
a la tete de la Georgie et de l’Ukraine des leaders pro-occidentaux,
ou encore la volonte americaine d’installer un bouclier antimissile
en Pologne et en Republique tchèque, ont ete percus par la Russie
comme des signes d’hostilite a son egard.

La region au sud du Caucase est donc bien un des enjeux, et sans
doute non des moindres, du " grand jeu " americano-russe. Le bras de
fer diplomatique entre Moscou et Washington et dont la Georgie et
les republiques autoproclamees d’Ossetie du Sud et d’Abkhazie sont
aujourd’hui l’enjeu principal doit etre interprete au travers de ce
prisme. Ainsi, pour une bonne comprehension de la situation, il faut
certes tenir compte de la volonte russe de garder la main dans son
" etranger proche ", mais ne pas occulter non plus les ambitions
americaines sur ces regions.

"La politique americaine s’y est mise en place peu a peu, surtout dans
la seconde moitie des annees 1990. Ce sont les ressources energetiques
de la mer Caspienne qui ont attire l’attention de Washington "

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