Agence France Presse
20 janvier 2005 jeudi 9:03 AM GMT
Les rivaux arménien et azerbaïdjanais en Irak pour plaire aux
Etats-Unis (PAPIER D’ANGLE)
BAKOU 20 jan
Chez elles, les armées arménienne et azerbaïdjanaise ne se voient
qu’à travers les lunettes de leurs fusils pointés le long d’une des
lignes de cessez-le-feu les plus dangereuses du monde, mais en Irak
elles combattent pour une cause commune: gagner la sympathie des
Etats-Unis.
Cette semaine, un groupe de 46 soldats arméniens se sont joints à la
coalition dirigée par les Etats-Unis en Irak, où sont déployés depuis
2004 une centaine de soldats de la paix de l’Azerbaïdjan, ennemi de
longue date de l’Arménie.
Bien qu’officiellement Bakou et Erevan soient présents en Irak pour
aider à stabiliser la situation dans le pays, pour les deux rivaux il
s’agit surtout d’une opération de charme auprès de l’Oncle Sam.
L’Arménie comme l’Azerbaïdjan ont beaucoup à gagner d’une bonne
relation avec les Etats-Unis dans leur quête pour faire pencher la
communauté internationale en leur faveur dans le conflit qui les
oppose au sujet de l’enclave azerbaïdjanaise à majorité arménienne du
Nagorny Karabakh, aujourd’hui contrôlée de facto par Erevan.
Les deux anciennes républiques soviétiques ont mené une guerre
sanglante au début des années 1990 qui s’est soldée par 30.000 morts
et quelques deux millions de déplacés.
Depuis la signature d’un cessez-le-feu en 1994, les deux nations du
Caucase se livrent une guerre des mots en même temps qu’ils naviguent
dans des eaux diplomatiques difficiles entre Moscou et Washington,
lequel a renforcé son influence dans l’ex-URSS depuis deux ans.
“L’Arménie a envoyé des troupes en Irak après que les Etats-Unis lui
aient dit ¨ou vous êtes avec nous, ou vous êtes un (Viktor)
Ianoukovitch”, affirme un ancien chef de la diplomatie
azerbaïdjanaise, dans une référence au candidat ukrainien pro-russe
qui a perdu fin décembre la présidentielle ukrainienne face à un
candidat pro-occidental.
Depuis que des candidats qui n’étaient pas appuyés par Moscou ont été
portés au pouvoir dans la république séparatiste géorgienne
d’Abkhazie en janvier, en Ukraine le mois dernier et en Géorgie il y
a un an, le président arménien Robert Kotcharian a commencé à
chercher des appuis en Occident pour garder le pouvoir dans son pays,
estiment des experts.
“La question irakienne pousse l’Arménie à réfléchir sur un choix:
soit elle poursuit une politique pro-russe, soit elle se retire de la
zone d’influence russe”, estime Agasi Enkoïan, politologue à Erevan.
En ce qui concerne l’Azerbaïdjan, “nous sommes ennemis, mais cela ne
nous empêche pas de nous battre ensemble dans un pays tiers”, ajoute
M. Enkoïan.
Un analyste militaire basé à Bakou estime quant à lui que les deux
nations pourront bénéficier de leur expérience avec les missions de
paix en Irak si jamais un accord est trouvé concernant le Karabakh.
“Un jour les militaires devront comprendre la différence entre une
ligne de front et une frontière nationale, ce qui n’est pas le cas
aujourd’hui”, soutient Azad Iasazadé.
Mais le bilan de la coopération entre les deux pays depuis la
signature du cessez-le-feu n’est guère brillant et M. Iasazadé craint
que les passions encore très intenses ne provoquent d’autres
violences entre Arméniens et Azerbaïdjanais en Irak.
L’Azerbaïdjan et l’Arménie coopèrent avec l’Otan au sein du
Partenariat pour la Paix, mais des exercices prévus l’an dernier en
Azerbaïdjan avaient dû être annulés après ce dernier eût jugé
indésirable la présence de militaires arméniens sur son territoire.
Un officier azerbaïdjanais est jugé en Hongrie pour le meurtre à
coups de hache d’un officier arménien qui suivait une formation
financée par l’Otan à Budapest.
“Ils n’avaient pas de fusils là-bas, mais en Irak ils en auront”, met
en garde M. Isazadé.