Le Figaro, France
09 février 2005
Et la Turquie, parlons-en, justement;
EUROPE Le référendum de juin portera sur la seule approbation de la
Constitution européenne
par Axel PONIATOWSKI
Le référendum sur le traité constitutionnel européen marquera
l’agenda politique de cette année 2005, si ce n’est celle du
quinquennat. Après avoir accompli l’union économique et monétaire,
l’Europe aborde une nouvelle étape, celle de son union politique et
de défense.
Il est souhaitable pour notre pays que le référendum soit approuvé,
et si possible largement. L’Europe a apporté la paix depuis soixante
ans quand les soixante années précédentes n’avaient été qu’une
succession de guerres dévastatrices sur notre territoire. Les Balkans
sont là pour nous rappeler que la paix reste bien fragile dans un
monde instable et déstructuré. L’Europe a aussi produit plus de
richesse et engendré un meilleur niveau de vie, et la création de
l’euro a probablement évité à la France une crise monétaire
consécutive aux tribulations socialistes de 1997 à 2001. D’autre
part, le Traité constitutionnel dotera le Parlement européen de vrais
pouvoirs et renforcera le contrôle des parlements nationaux. On
assistera en fait à une meilleure répartition des rôles entre les
technocrates et les élus des nations. Un rejet de la Constitution, en
revanche, affaiblirait considérablement la position et la voix de la
France en Europe et dans le monde. La Constitution est donc
assurément pour les Français un gage de progrès, de sécurité et de
rayonnement.
En même temps, l’élargissement de l’Europe doit rester maîtrisé. Nous
sommes vingt-cinq depuis quelques mois seulement, ce qui constitue
déjà un formidable changement. Il va falloir apprendre à nous
connaître, à cohabiter, à partager nos destins et à gérer en commun
ce nouvel ensemble. Cette étape-là aurait pu être l’affaire d’une
génération. Or, au 1er janvier 2007, nous accueillerons la Roumanie
et la Bulgarie, et le principe de l’intégration de la Croatie, la
Bosnie, la Macédoine, la Serbie, l’Albanie, le Kosovo et le
Monténégro est inscrit dans les faits. Nous serons alors
trente-quatre et même trente-sept si les pays slaves de l’ex-URSS que
sont l’Ukraine, la Biélorussie et la Moldavie nous rejoignent.
Trente-sept mais tous européens.
L’adhésion de la Turquie est en revanche une tout autre affaire. Si
elle devait se faire, elle poserait d’énormes problèmes et aurait
d’immenses conséquences.
D’abord, la Turquie, c’est soixante-dix millions d’habitants, soit à
peu près autant que le total des dix pays qui viennent de nous
rejoindre. Le problème est que la Turquie n’est pas en Europe et
lorsque quatre-vingt-quinze pour cent de la superficie d’un pays se
situent dans la partie moyen-orientale de l’Asie, il ne peut s’agir
d’un détail. Sur le plan des libertés, le pays pose problème ; cet
Etat dit laïc l’est en fait de moins en moins pour devenir de plus en
plus religieux. La Turquie est en fait une démocratie musclée qui
tient par la force et l’autorité de ses militaires ; retirez les
généraux… et c’est l’inconnu !
Le statut et les droits de la femme qui évoluent dans le mauvais sens
sont préoccupants. La non-reconnaissance du génocide arménien est
caractéristique d’un pays hypernationaliste, autocratique, qui n’a
pas fait sa mue démocratique comme avaient su le faire en leur temps
l’Allemagne et le Japon. La Turquie connaît des litiges ou des
conflits avec la plupart de ses voisins : Syrie, Irak, Iran, Arménie
sans parler du Kurdistan.
Enfin, question essentielle à elle seule : où s’arrête-t-on ?
Autrement dit, quelles seront les nouvelles frontières de l’Europe ?
A quand le Liban, dont nous sommes beaucoup plus proches que nous le
sommes de la Turquie ? Israël et la Palestine frappent à la porte !
Le Maroc a déclaré qu’il présenterait sa candidature dès la
réalisation du tunnel sous le détroit de Gibraltar. Puis viendront
les pays du pourtour du bassin méditerranéen, les pays de l’Afrique
noire, ceux du Caucase, la Russie… Bienvenue au club ! Cette
auberge espagnole deviendrait une vaste zone de libre-échange et
n’aurait plus grand-chose à voir avec l’Europe voulue par les pères
fondateurs, celle qui nous a fait si longtemps espérer. Il ne s’agit
pas, bien sûr, de claquer la porte à la Turquie et aux Turcs.
L’article 57 de la future Constitution européenne permet de nouer des
partenariats privilégiés bénéfiques aux uns et aux autres. Faisons-le
avec la Turquie et avec d’autres. En effet, l’adhésion pure et simple
de la Turquie sonnerait le glas d’une unité de civilisation et
d’identité.
Heureusement, l’histoire n’est pas écrite. La Turquie est loin, très
loin d’être en conformité avec les critères de Copenhague et le
principe du référendum sur son adhésion, le moment venu, est gravé
dans le marbre. Ceux-là mêmes qui font campagne contre la
Constitution européenne au prétexte de mieux s’opposer à la Turquie
se trompent et nous trompent. La réalité est inverse. En mars
prochain, députés et sénateurs se réuniront en congrès à Versailles
pour apporter une modification significative à la Constitution
française. L’article 88-5 du titre XV disposera que « toute adhésion
d’un Etat à l’Union européenne est soumise au référendum par le
président de la République ». Cette obligation s’appliquera aux
négociations ayant débuté après le 1er juillet 2004, soit après les
adhésions de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie. Elle
concernera toutes les adhésions suivantes dont celle de la Turquie.
Ainsi, ne tombons pas dans l’amalgame. Le référendum de juin porte
sur la nécessaire approbation de la Constitution européenne et sur
elle seule. Le moment venu, nous nous prononcerons sur l’entrée de la
Turquie et la décision de la France, ce jour-là, résonnera d’autant
plus qu’elle sera toujours parmi les plus fondateurs des pays
fondateurs.
* Député UMP du Val-d’Oise, membre de la commission des affaires
étrangères de l’Assemblée nationale.
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