Ankara et Erevan entre foot et diplomatie

Le Figaro, France
Jeudi 15 Octobre 2009

L’ANALYSE;
Ankara et Erevan entre foot et diplomatie

par Barluet, Alain

La Turquie et l’Arm©nie, qui s’affrontaient hier lors d’un match de
football hautement symbolique, doivent maintenant jouer les
prolongations sur le terrain diplomatique. Certes, on ne saurait
minimiser la port©e de l’accord conclu au forceps, samedi dernier
Zurich, entre les repr©sentants d’Ankara et d’Erevan. Les deux
protocoles sur lesquels ils se sont accord©s visent l’©tablissement
de relations diplomatiques, la r©ouverture de la fronti¨re commune
et pr©voient une s©rie de mesures pour resserrer les liens bilat©raux.
Il s’agit d’une ©tape sans pr©c©dent dans la d©marche de
r©conciliation entre les deux voisins qui s’opposent depuis pr¨s d’un
si¨cle sur la question du g©nocide arm©nien, un terme que r©cuse
toujours la Turquie. Un accord historique, donc, mais qui, ce stade,
ne r¨gle rien. Malgr© l’opposition des nationalistes qui donnent de la
voix dans les deux pays, les protocoles seront vraisemblablement
approuv©s par les parlements respectifs.

Plus difficile sera de r©duire les arri¨re-pens©es des deux pays
signataires. Celles des Turcs, d’abord, qui ont toujours cherch©
entraver la reconnaissance d’un g©nocide qui a fait plus d’un million
et demi de morts, selon Erevan, l o¹ Ankara conc¨de seulement le
massacre 300 000 500 000 personnes dans le contexte de la Premi¨re
Guerre mondiale. Une « sous-commission » d’historiens doit d©sormais
ªtre constitu©e : la sensibilit©, plus ou moins proche des positions
arm©niennes, des personnalit©s nomm©es par Ankara sera un indicateur
de sa volont© politique de lever, ou non, cette hypoth¨que majeure qui
constitue, Erevan, un imp©ratif cat©gorique.

C´t© arm©nien, on n’est pas non sans avoir des id©es derri¨re la tªte.
Avec l’accord de Zurich, Erevan esp¨re ainsi avoir mis la Turquie «
dans la seringue » pour l’amener rouvrir la fronti¨re commune,
ferm©e depuis 1993, une des priorit©s de Serge Sarkissian, surtout
depuis la crise g©orgienne de l’an dernier. Le pr©sident arm©nien peut
compter sur les parrains de l’accord de Zurich pour peser de tout leur
poids dans ce sens : d’une fa§on ou d’une autre, Europ©ens, Am©ricains
et Russes ont chacun int©rªt au d©senclavement de l’Arm©nie pour
assurer l’acheminement des hydrocarbures d’Asie centrale.
Un autre obstacle demeure sur la route de la r©conciliation
turco-arm©nienne : le Haut-Karabakh, enclave majoritairement peupl©e
d’Arm©niens en Azerba¯djan, prot©g© r©gional de la Turquie. La
question ne figure pas explicitement dans les protocoles de Zurich.
Mais, au lendemain de la signature de Zurich, le premier ministre turc
Recep Tayyip Erdogan a clairement conditionn© une « attitude positive
» d’Ankara concernant l’ouverture de la fronti¨re avec l’Arm©nie par
un retrait des Arm©niens du territoire de l’Azerba¯djan. Pour le
gouvernement Erdogan en pleine renaissance n©o-ottomane, il ne saurait
ªtre question de laisser tomber Bakou et les compatriotes de souche
turque.

Les exigences turques ne facilitent pas la t¢che du « groupe de Minsk
», dont les chevilles ouvri¨res sont la France, les ?tats-Unis et la
Russie, qui s’efforce depuis 1997 de r©soudre le casse-tªte du
Haut-Karabakh. Pour surmonter les blocages, le groupe pr©conise une
approche pragmatique visant, dans un premier temps, au retrait des
populations arm©niennes des zones entourant l’enclave, repoussant
plus tard la question de son statut d©finitif. Selon un expert du
dossier, les d©clarations turques risquent d’avoir des interactions
n©gatives sur les travaux du « groupe de Minsk » en renfor§ant, du
c´t© turc comme du c´t© arm©nien, la position des extr©mistes sur le
Haut-Karabakh.

Levier pour l’ouverture ou pr©texte radicalisation, tout d©pendra de
l’interpr©tation qui sera faite, Ankara comme Erevan, de l’accord
pass© Zurich. La troisi¨me mi-temps s’annonce longue et difficile.
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